Histoire de l’Académie des Sciences et Belles-Lettres de Toulouse


Par Yves Le Pestipon, président honoraire


L’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse est une création du Siècle
des Lumières. Le 24 juin 1746, Louis XV signa les lettres patentes, préparées par le comte de
Saint-Florentin, qui autorisaient l’activité à Toulouse d’une Académie Royale des Sciences,
Inscriptions et Belles-Lettres. Son programme était de réunir de brillants esprits, savants en
différents domaines, afin de favoriser la production et la diffusion de connaissances validées
par l’esprit critique. Il n’est pas étonnant, de ce point de vue, qu’un exemplaire ancien de
l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, figure toujours en bonne place dans sa bibliothèque,
ou que l’on aperçoive, dans son « Salon blanc » les bustes de Voltaire et de Picot de Lapeyrouse,
ou que l’on rencontre dans ses archives les noms de Condillac, de Parmentier, de Cuvier, des
manuscrits concernant l’astronomie, la médecine, l’archéologie, les études grecques et
romaines…
Pierre (de) Fermat apparaît dans tous ses locaux et sur nombre de ses médailles. Il représente
en effet son esprit, puisqu’il fut toulousain, mathématicien, juriste, et même poète. Plutôt
bourgeois par sa famille et ses mœurs, membre pendant quelques années de la Chambre de
l’Édit à Castres, il incarna un catholicisme capable de dialoguer avec les réformés. Il ne fut
pourtant pas membre de l’Académie, puisqu’il mourut presque un siècle avant qu’elle ne fût
constituée. Il ne fut pas non plus membre des groupes divers qui la précédèrent, dont le plus
fameux – bien que sa réalité demeure difficile à cerner – est celui des Lanternistes, qui aurait eu
pour devise, « Lucerna in nocte », devise qui reste celle de l’actuelle Académie des Sciences,
Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse. Beaucoup de légendes environnent cette origine. Il
est peu probable, par exemple, que les Lanternistes, vers 1640, se rendirent systématiquement
à leurs réunions, en s’éclairant d’une lanterne… Les légendes ont leur charme : l’actuelle
l’Académie emploie une fausse lanterne en métal pour y déposer ses bulletins de vote, lorsque
cela lui semble nécessaire.
La thèse et les travaux de Michel Taillefer permettent une connaissance historiquement fondée
des tentatives qui précédèrent, pendant un siècle, la constitution de l’Académie Royale des
Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse. Avant les problématiques Lanternistes,
dont le nom ne semble paraître pour la première fois que dans un écrit de 1693, existèrent des
Conférences académiques qui réunirent de « beaux esprits » en différents lieux, de manière
intermittente, entre 1640 et 1685. Ces Conférences ne publièrent rien. Parmi leurs membres les
plus éminents, elles comptèrent le père Maignan, qui fut mathématicien et physicien, le médecin
Bayle et les deux frères Pellisson. Ensuite, entre 1688 et 1699, exista une Société des Belles-
Lettres, composée d’une quarantaine de membres, qui s’intéressait parfois aux sciences, et qui
projeta la création d’une Académie. Ce projet, conduit par M.de Malapeire, se heurta au Collège
du Gai Savoir, qui parvint à devenir en 1694 Académie des Jeux Floraux. Il y eut ainsi, selon
Michel Taillefer, une « petite guerre de pamphlets » dont nous reste, datant de 1692, la Réponse
à des Mémoires qui ont paru contre l’établissement d’une Académie de Belles-Lettres dans la
ville de Toulouse.
Après trente années de relatif sommeil de l’activité académique toulousaine à vocation en partie
scientifique, se constitua en 1729 une Société des Sciences qui reprit le projet d‘une Académie
de botanique, et qui se trouva un local, puis un autre, pour des réunions, des expériences, des
conférences. Le médecin Antoine Sage fut un des plus efficaces fondateurs de cette Société, où
il s’agissait en particulier de cultiver la géométrie, la botanique, la chimie et l‘anatomie. Des
mémoires furent rédigés, et vers 1744, après quelques moments de crise, la Société des Sciences
manifestait une vive activité. Son principal projet était de devenir Académie royale, donc
d’obtenir des lettres patentes.


Outre l’hostilité traditionnelle des Jeux floraux, qui avaient l’appui du Parlement, et qui
réunissaient une part significative de la noblesse et du clergé, ce projet se heurtait aux réserves
de l’Académie de Montpellier, qui pouvait prétendre être la seule Académie légitime dans la
province du Languedoc. De nombreuses démarches furent entreprises pendant les années 1730-
1740 pour tenter d’avancer, grâce à l’appui des Capitouls, voire de la marquise de Pompadour.
Ce n’est qu’au mois de janvier 1746 que le président d’Orbessan put annoncer qu’il croyait
enfin avoir réussi. Des statuts furent élaborés et, le 10 juillet 1746, la Société des Sciences lut
en séance les lettres patentes que Louis XV avait signées le 24 juin : « La joie que cette lecture
a causée a été des plus vives ». L’Académie royale des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres
de Toulouse était née. Elle pouvait jouer son rôle dans le mouvement académique européen et
français, qui ne cessait de prendre de l’ampleur depuis la Renaissance, et qui connaissait alors
une vigueur nouvelle.


Ses membres, savants en divers domaines, appartenaient majoritairement à la bourgeoisie
locale. La jeune Académie s’efforça d’étendre le champ de ses relations à la France entière,
voire à l’Europe. Il est significatif que le savant écossais, Adam Smith, alors qu’il commençait
d’écrire De la richesse des nations, et qu’il séjournait à Toulouse en 1764, assista à certaines
de ses séances. On peut lire dans ses Mémoires, dont quatre volumes furent imprimés en 1782
et 1790, mais aussi dans des registres manuscrits, et dans les correspondances, qu’elle étudiait
l’archéologie, l’astronomie, les mathématiques, la médecine, les langues anciennes, les
circulations des eaux, l’urbanisme, qu’il n’était en somme rien qui intéressât l’Humanité qui lui
fût étranger. Si plusieurs de ses membres ont une notoriété certaine, comme le collectionneur
Martin de Saint-Amand, le naturaliste Picot de Lapeyrouse, ou l’astronome Garipuy, aucun ne
fut une figure illustre de la pensée européenne. Les concours qu’elle organisa n’eurent pas le
retentissement de ceux de l’Académie de Dijon. Michel Taillefer juge que « son rayonnement
demeura médiocre et presque exclusivement local ». Ce n’est pas rien : on lui doit la
constitution à Toulouse d’un observatoire astronomique, d‘un jardin des plantes, d’un important
cabinet de médailles. Elle favorisa la pratique et la diffusion de l’esprit critique.
Au tout début de la Révolution, elle tenta de s’adapter. Elle s’essaya à célébrer les nouvelles
autorités, et à mettre ses activités au service de la Monarchie constitutionnelle, puis de la
République. Si elle était moins suspecte que les Jeux Floraux d’enracinement dans
l’absolutisme, elle ne sut pas convaincre la Convention, qui la supprima le 8 août 1793, avec
toutes les autres Académies et Sociétés littéraires. Ses biens, ses collections furent dispersés ou
récupérés par des musées. Plusieurs de ses membres furent incarcérés ou poursuivis. Certains
jouèrent un rôle dans les nouvelles écoles que la République créa à Toulouse, puis dans le Lycée
et l’Athénée, qui s’efforcèrent de proposer des enseignements, et Picot de Lapeyrouse fut maire
de Toulouse entre 1800 et 1806.


Napoléon finit par se montrer favorable au retour des Académies en France. Celle de Toulouse devenue impériale – fut rétablie en 1808, et y figurèrent beaucoup de ses anciens membres,
qui avaient su survire aux changements politiques.
Le XIXᵉ siècle fut heureux pour l’Académie, que les régimes successifs n’empêchèrent jamais
de se maintenir. Elle traversa la chute de l’Empire, les diverses formes de restaurations
monarchiques, la Seconde République, le Second Empire, et prospéra particulièrement pendant
la Troisième République. II reste de ce temps de nombreuses archives manuscrites, des
mémoires imprimés, une part considérable de sa bibliothèque, et quelques éléments de ses
collections qui furent, pour l’essentiel, réparties entre les musées de Toulouse. On constate en
lisant ses archives qu’elle s’impliqua dans des projets urbanistiques, politiques, scientifiques de
la ville. Elle recevait de nombreux messages de correspondants qui l’avertissaient de
découvertes archéologiques, d’expériences nouvelles, de la chute d‘une météorite à Orgueil
(Tarn-et-Garonne), de la publication d’un ouvrage… Elle distribuait des prix. Elle prononçait
des éloges, donnait des avis. Plusieurs de ses membres jouèrent des rôles notables dans
l’astronomie, la chimie, les sciences naturelles locales et nationales. Elle accompagna, avec
Émile Cartailhac, l’invention de l’archéologie préhistorique moderne. Elle communiqua avec
des personnalités éminentes comme Cuvier ou Michelet. En un siècle où n’existaient pas encore
le CNRS et les multiples instituts souvent universitaires de recherche, elle jouait un rôle central
à Toulouse et dans sa région pour la validation, la création et l’encouragement des
connaissances. On ne peut qu’espérer qu’une thèse comparable à celle que Michel Taillefer a
consacrée à son inaugural demi-siècle, analyse un jour son rôle et ses fonctionnements pendant
le long siècle qui a précédé la Première Guerre mondiale.


Le XXᵉ siècle permit surtout à l’Académie toulousaine d’obtenir des locaux dignes d’elle. Elle
fut en effet quelque peu errante dès ses origines, et même victime, en 1875, des travaux de
construction de la future rue Alsace, qui entraînèrent la destruction du « petit Versailles », où
elle résidait. Heureusement Ozenne vint, et, en 1895, légua l’hôtel d’Assézat à la municipalité,
qu’il chargea de l’entretenir et d‘y loger six Académies et Sociétés savantes, dont l’Académie
des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse. L’installation, en 1995, de la fondation
Bemberg dans l‘Hôtel d’Assézat conduisit, après négociations, à la construction d’un bâtiment
nouveau, au réaménagement de certaines salles, ce qui permit à l’Académie de disposer de deux
salons, de locaux pour sa bibliothèque, et de partager avec les autres compagnies l’usage de la
salle Clémence Isaure, qu’elle contribue à embellir.


Le développement considérable de l’activité scientifique, grâce aux universités, aux industries,
au CNRS, et à diverses institutions de recherche et de diffusion des savoirs, laissa un peu à la
traîne l’Académie, qui rencontra quelques difficultés pour se trouver un autre rôle que celui de
réunir des notables en fin de carrière. Ses membres ne représentaient désormais qu’une faible
part des abondantes élites scientifiques et littéraires de la ville. Elle n’était plus le lieu de la
recherche, ni celui de la validation des savoirs. Elle sut cependant se maintenir, préserver ses
publications et ses séances régulières, poursuivre l’attribution de prix à de jeunes docteurs,
réaménager ses locaux, sa bibliothèque, et, au XXIᵉ siècle, se créer un riche site internet, mettre,
avec Gallica, ses archives et ses Mémoires à la disposition de la communauté des chercheurs.
Surtout, elle retrouva une part de sa vocation originelle – la diffusion des savoirs – en multipliant,
depuis une vingtaine d’années, les conférences publiques, les colloques, les rencontres avec des
écrivains, des revues, et les collaborations avec des librairies, le Quai des savoirs, des musées,
les universités toulousaines, les événements culturels, ainsi qu’avec d’autres académies. Ses
nouveaux membres, qui sont de plus en plus souvent des femmes, peuvent être des spécialistes
d’intelligence artificielle, de génétique, de cancérologie, d‘avionique, de drones…, mais aussi
de littératures anciennes, d’archéologie, de Proust, ou de musique… L’Académie tente, en ce
monde parfois envahi par de nouveaux obscurantismes et souvent séduit par les « fake news »,
d’aider à résister en pratiquant sa vieille devise, « lucerna in nocte », voire en tentant de
multiplier « lucernae in noctibus ».


Petite bibliographie :
Bernard Pellet-Desbarreaux, Les Lanternistes, essai sur les réunions littéraires et scientifiques
qui ont précédé, à Toulouse, l’établissement de l‘Académie des Sciences, Paris, J. Techener,
1858.
Eugène Lapierre, Histoire de l’Académie (1640-1793), Toulouse, Imprimerie Douladoure-
Privat, 1908.
Baron Marie-Louis Desazars de Montgaillard, Histoire de l’Académie des Sciences et Belles-
Lettres de Toulouse, Le Musée, Le Lycée, l’Athénée, Toulouse Imprimerie Douladoure-Privat,
1908.
Damien Garrigues, Toulouse intellectuelle au XIXe siècle, L’Académie des Sciences et Belles-
Lettres, (sans date, ni nom d’éditeur, n° 92723 dans la bibliothèque de l’Académie).
Weyne Edward Permenter, The Academy of Science at Toulouse in the eighteenth century, a
dissertation presented to the faculty of the graduate school of the University of Texas, 1964.
Michel Taillefer, Une académie interprète des Lumières, l’Académie des Sciences, Inscriptions
et Belles-Lettres de Toulouse au XVIIIe siècle, éditions du CNRS, 1984.
Michel Taillefer, « Les conférences académiques de Toulouse au XVIIe siècle » in Études sur
la sociabilité à Toulouse et dans le Midi toulousain de l’Ancien Régime à la Révolution, Presses
universitaires du Mirail, 2014.



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