Lauréats 2020


RAPPORT GÉNÉRAL DE REMISE DES PRIX POUR L’ANNÉE 2020

Par M. Jacques ALEXANDROPOULOS*

L’une des vocations de notre Académie est de contribuer à faire vivre une tradition scientifique, autrement dit de situer son action à la fois dans la continuité rituelle, mais nécessaire, des hommages rendus à la Science, et dans la reconnaissance de l’apport le plus novateur des chercheurs au plus vivant de nos sociétés. C’est là le sens même de cette remise annuelle des prix, qui, au-delà de cette formulation un peu désuète, a consacré une nouvelle fois des travaux remarquablement innovants, et qui touchent aux préoccupations les plus immédiates de nos contemporains. Et puisque nous parlons de préoccupations immédiates, le contexte épidémique pouvait légitimement amener des inquiétudes quant au déroulement de la procédure, qu’il s’agisse de la remise des dossiers de candidature, de leur étude par les examinateurs ou de la sélection des lauréats. Et de fait, ce n’est qu’aujourd’hui que se tient la séance solennelle de remise de ces prix habituellement organisée le premier dimanche de décembre. Néanmoins, même si tout cela a pris du retard car nous avons dû procéder plus lentement, pour tenir compte des indispensables précautions qui entravaient la vie de notre compagnie, nous pouvons être heureux de constater que la promotion 2020 ne dépare pas au regard de celles qui l’ont précédée.

La première crainte pouvait être celle d’un nombre trop limité de candidatures. Mais c’est au total 44 dossiers que nous avons eu à examiner, soit un nombre de peu inférieur à celui de l’an dernier (51). On peut simplement regretter que certains prix n’aient pas pu être décernés faute de candidats. C’est le cas, par exemple, outre les mathématiques et la philosophie, dans le domaine de la création littéraire, ou encore de la pédagogie, et dans ce dernier cas, alors même que les temps d’épidémie que nous vivons, avec les lourdes difficultés qu’il a provoquées dans les enseignements primaire, secondaire ou supérieur, ont suscité de remarquables initiatives qui auraient largement mérité d’être primées. Mais à ces quelques réserves près, c’est donc une très belle moisson de 44 travaux

* Rapport présenté à l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse lors de la séance de remise des prix le 17 juin 2021.

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que l’année 2020 nous a offerte, et que la générosité des institutions qui dotent les prix nous permet de récompenser.

Outre l’inévitable retard pris dans l’ensemble de la procédure, une autre difficulté pouvait toucher le processus même des évaluations : l’impossibilité où nous étions de réunir les rapporteurs en présentiel pour la délibération finale, nous a obligés à recourir au fameux « distanciel », ce qui compliquait et rallongeait les débats, et cela même si les circonstances avaient déjà largement habitué même les plus réticents à s’accoutumer à ce mode de réunion. Mais malgré ces difficultés, je tiens à dire que grâce à la qualité des rapports qui ont été fournis, et grâce à la totale disponibilité des rapporteurs eux-mêmes au moment de la délibération, nous avons pu aboutir de manière tout à fait satisfaisante à une sélection parfaitement rigoureuse des lauréats, en dépit de la lourdeur des circonstances. Je veux en remercier très vivement aussi bien les rapporteurs, que l’ensemble des consœurs et confrères qui ont participé à tout le cours de la procédure d’évaluation, et en particulier notre président M. Yves Le Pestipon, notre secrétaire perpétuel M. Max Lafontan, ainsi que M. Gérard Laurans qui a bien voulu assurer tout au long la logistique des opérations. Merci aussi à ceux à qui j’ai eu recours dans la tâche de rapporteur général qui m’a été confiée, en particulier MM. Serge Bories, et Jean-Baptiste Hiriart-Urruty.

On peut paraître, une fois encore, céder au rituel des formules en déclarant que l’on aurait souhaité récompenser davantage de candidates et de candidats compte tenu de la grande qualité des dossiers qu’ils présentaient. Tout en se félicitant de cette excellence, qui s’est reflétée dans la durée des débats qui ont abouti à la sélection finale, il n’a pas été jugé bon pour autant de partager certains prix entre deux lauréats. Il a semblé préférable d’en préserver ainsi davantage la signification.

Nous allons donc maintenant présenter les travaux primés. Je le ferai en reprenant la quintessence des rapports fournis par les évaluateurs, que je remercie à nouveau pour leur contribution :

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PRIX DE L’ACADÉMIE Lauréat : Mr. Alexandre COUHERT

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Thèse : « Amélioration des références massiques de la Terre par synergie entre différentes mesures de géodésie spatiale. Application à l’océanographie par altimétrie spatiale ».

Le sujet extrêmement complexe de cette thèse allie la physique de la Terre (forme, pesanteur, mouvements dans l’espace), avec ses déformations et ses changements dus aux transferts de masse entre ses différentes composantes (océans, atmosphère, calottes glaciaires). Pour cela, elle met en œuvre la géodésie spatiale, ainsi que la métrologie de la mesure, dans tous les systèmes d’observation satellitaires qui permettent de déterminer ces caractéristiques de notre planète par la résolution de problèmes mathématiquement très délicats. La détermination de certains paramètres fondamentaux de la Terre a été ainsi complètement réexaminée, apportant sur eux un éclairage nouveau. Leur calcul a été repris en utilisant des séries très longues d’observation de position et de vitesse de satellites, en particulier par télémétrie laser, répondant ainsi à certaines questions restées incomprises depuis longtemps, et conduisant à de nouvelles valeurs de ces paramètres. Ces résultats sont en passe de faire référence au niveau mondial, et la poursuite de ces travaux a une importance sociétale avérée, en liaison avec les changements climatiques, et en particulier l’élévation du niveau moyen des océans.

PRIX SPONSORISÉS Prix de l’innovation :

(doté par la ville de Toulouse pour des travaux particulièrement innovants).

Lauréat : Mr. François BOIGE

Thèse : « Caractérisation et modélisation électrotechnique du MOSFET SIC en régime extrême de fonctionnement, incluant ses

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modes de défaillance. Application à la conception d’une protection intégrée au plus proche du circuit de commande ».

Cette Thèse, soutenue par l’A.N.R., concerne la modélisation physico- comportementale du transistor en question, en régime extrême et accidentel de court-circuit. Il s’agit d’une étude fondamentale, dont les résultats sont à même de bouleverser considérablement les systèmes de protection embarqués dans les aéronefs, et, plus largement, d’avoir des retombées importantes sur la maintenance, la surveillance, la fiabilité et la sécurité des systèmes électriques, et notamment des parcs d’éoliennes. Par son volume, comme par son intérêt pratique et sa qualité scientifique, le travail réalisé par M. François Boige est impressionnant. Il représente, du point de vue théorique et expérimental, une contribution importante à la compréhension et à la modélisation du comportement des transistors de puissance, en régime de court-circuit ; il témoigne, par ailleurs, de la large culture scientifique du candidat. Cette thèse a été sélectionnée par le Conseil Scientifique de l’I.N.P. qui lui a décerné le Prix Léopold Escande.

Prix du Conseil Départemental

(Sujet concernant l’instruction) Lauréate : Mme. Élodie GROSSI

Thèse : « Bad Brains : Race et psychiatrie de la fin de l’esclavage à l’époque contemporaine aux États-Unis ».

Cette étude se situe à la croisée de l’histoire, de la sociologie et de la médecine. Elle explore, à partir d’un corpus d’archives aussi bien personnelles qu’institutionnelles, l’histoire sociale de la psychiatrie racialisée et en particulier la médicalisation du corps noir, dans le Sud ségrégationniste des États-Unis, du XIXe siècle à nos jours. Ce faisant, elle montre de façon percutante le rôle politique joué par la vision psychiatrique américaine des années 1960, mais bien plus largement, elle aborde à partir de l’étude des pratiques médicales, des théories psychiatriques et de l’altérité raciale, des questions aux enjeux sociétaux fondamentaux, comme la politisation de la science, et les notions de citoyenneté, de responsabilité et de droits civiques. Cette thèse particulièrement brillante d’une jeune chercheuse aux publications déjà nombreuses, a été distinguée par plusieurs prix : AFEA-Fulbright 2019-2020 ; Paris-Sciences-Lettres-SHS 2019 dans la catégorie

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Sciences/Humanités ; Mention spéciale 2019 de la Société Française d’Histoire de la Médecine.

Prix d’Économie

(Doté par l’Université Toulouse I-Capitole pour un sujet traitant d’économie).

Lauréate : Mme. Olga BERNARD
Thèse : « Essais en économie de la science : qualité de

publication et incitations à faire de la recherche ».

Dans sa thèse, Mme Olga Bernard a emprunté la voie de la théorie du jeu, chère aux économistes, pour établir des modèles mathématiques éclairant la stratégie de publication d’un chercheur à la suite d’une découverte scientifique. Cette mathématisation de l’activité humaine qu’est la découverte scientifique, visant une maximisation du gain, a toujours été présente en Science, même si elle est restée longtemps cachée ou inconsciente dans sa mise en œuvre. Derrière le romantisme très XIXe siècle du savant partant à l’assaut des lois de la Nature, il y a toujours eu de la part des scientifiques, de leurs soutiens politiques et financiers des intérêts à maximiser pour aboutir vite, et avant le voisin, à une découverte, puis à annoncer cette découverte au Monde. Cette étude est donc capitale pour nous faire entrer dans la science de la Science, pour en comprendre les ressorts humains sous-jacents et les règles mathématiques trop longtemps restées non analysés.

Prix de l’Université Paul Sabatier Lauréat : Mr. Olivier COOPMANN

Thèse : « Vers une meilleure assimilation des observations satellitaires infrarouges par le couplage des modèles météorologique et chimique ».

La prévision numérique du temps évalue des paramètres, comme la température, l’humidité et la pression de l’atmosphère, par l’observation du rayonnement infrarouge au sommet de l’atmosphère, et cela au

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moyen d’instruments satellitaires. L’extraction de ces données physico- chimiques, destinées à alimenter les systèmes de prévision, nécessite le recours à des modèles complexes. L’objectif de la thèse est de prendre en compte ces données au plus proche du réel, pour améliorer la qualité des prévisions. L’auteur propose pour cela d’exploiter la voie chimique pour le système de prévision Météo France ARPEGE, en le couplant avec le modèle chimie-transport MOCAGE, qui sera lui-même alimenté par les données des observations infrarouges que fournissent les instruments IASI embarqués à bord du satellite. Cela permettra d’accroître de manière significative les performances des systèmes de prévision numérique du temps, lors de l’intégration des capteurs infrarouges dans les satellites Météosat de Troisième Génération.

Prix de l’Université Paul Sabatier

Sciences de la vie ou de la terre

Lauréat : Mr. Constantin ARDILOUZE
Thèse : « Impact de l’humidité du sol sur la prévisibilité du climat

estival aux moyennes latitudes ».

Cette étude montre que si les océans tropicaux influent largement dans les modèles de climat qui simulent l’évolution de l’atmosphère au cours des mois à venir (c’est le cas par exemple d’El Niňo), les continents eux aussi jouent un rôle important, et en particulier avec la couverture nuageuse, l’humidité du sol et la végétation. Or ce rôle des continents sur l’évolution de l’atmosphère à long terme reste encore assez méconnu. Dans cette perspective, M. Ardilouze montre précisément que les anomalies estivales des précipitations et de la température sont modulées dans de nombreuses régions d’Europe par l’humidité du sol. Il s’est donc attaché à mieux représenter cette influence, et il propose une méthode de correction des prévisions de précipitations qui atteignent la surface, en réduisant l’incertitude sur cette humidité. Devenu professionnel de la météo, l’auteur est impliqué dans un projet de recherche mondial, et connexe au sujet de sa thèse, concernant la prévision dite « subsaisonnière » du climat, c’est-à-dire aux échéances comprises entre deux semaines et deux mois.

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Prix de Université Jean Jaurès

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(doté par l’université Jean Jaurès en lettres, langues, sciences humaines et sociales)

Lauréat : M. Stéphane LAMOUILLE
Thèse : « Recherches sur les charpentes dans l’architecture

monumentale grecque du VIème au IVème siècle av. J-C ».

Cette très belle thèse se situe à la confluence de deux spécialités du lauréat : un cursus d’histoire et d’archéologie, et des compétences professionnelles acquises en ingénierie et technique des charpentes en bois. La question posée est la suivante : en l’absence de vestiges conservés, comment restituer la charpente des toits des grands édifices grecs de l’époque classique ? On l’imagine traditionnellement selon la technique de l’empilement, à la différence des monuments romains bénéficiant de charpentes triangulées. L’auteur répond par l’examen de toute la chaîne opératoire, qui va de la filière de l’arbre à la charpente, en passant par les commandes, les savoir-faire des charpentiers grecs dans les divers domaines d’application (architecture, marine, poliorcétique, levage), et cela avec tout le vocabulaire technique correspondant. L’auteur y rajoute ses propres compétences en calcul de résistance des structures et des matériaux aux forces verticales et horizontales, pour revenir sur le cas de monuments célèbres comme le Parthénon ou le temple d’Apollon à Delphes et proposer une évaluation pour une centaine d’autres monuments. Cela lui permet un tri remarquable dans les hypothèses de restitutions proposées jusqu’ici, et d’en offrir de nouvelles, battant en brèche les idées reçues de « stagnation technique » et d’évolution linéaire en faveur d’une riche adaptabilité des techniques.

Prix de l’Institut National Polytechnique

Prix Jean Nougaro (sujet traitant des sciences physiques de l’ingénieur) Lauréat : Mr. Charlelie LAURENT

Thèse : « Low-Order Modeling and High-Fidelity Simulations for the Prediction of Combustion Instabilities in Liquid Rocket Engines and Gas Turbines ».

Ce travail de thèse analyse l’interaction complexe entre la dynamique de flamme et les ondes acoustiques, pour comprendre les instabilités de

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combustion qui constituent un défi majeur pour la conception de moteurs-fusées à ergols liquides, et de turbines à gaz. Il s’agit d’un problème de mécanique des fluides très complexe, couplant l’acoustique dans des structures elles-mêmes complexes, avec la problématique de la combustion. M. Laurent s’est ainsi intéressé au développement de nouvelles méthodes de modélisation thermo- acoustique dans des chambres de combustion à divers types de parois complexes. Il a modélisé ensuite la dynamique de flamme, dans le contexte d’une flamme-jet cryogénique, caractéristique d’un moteur- fusée à ergols liquides, en tenant compte d’un comportement thermodynamique complexe, et de la turbulence à petite échelle. Il s’agit d’un remarquable travail de modélisation en mécanique des fluides, avec le développement de méthodes modales nouvelles et la mise en œuvre de calculs LES complexes sur une problématique industrielle de haute technologie.

Prix des Sciences de l’Ingénieur pour une étude en rapport avec les sciences de l’ingénieur.

Lauréat : Mr. Maxime BERG

Thèse : « Modélisation de l’écoulement sanguin et du transport de molécules dans la microcirculation sanguine cérébrale : Impact des occlusions capillaires dans la maladie d’Alzheimer ».

Voici une étude qui porte sur le système microvasculaire cérébral, qui est longtemps resté inaccessible, mais que des avancées récentes en imagerie in vivo ont permis d’observer avec précision. Ces techniques génèrent de grandes quantités de données difficiles à interpréter sans cadre théorique adapté. Le travail de thèse a consisté à développer et valider des modèles capables de décrire l’écoulement et le transport de molécules dans de vastes réseaux anatomiques. Dans la maladie d’Alzheimer, il a été montré que le premier marqueur de la maladie était une baisse de débit sanguin cérébral. En combinant les mesures prises in vivo chez des souris modèles de la maladie d’Alzheimer avec des simulations numériques, M. Berg a montré que l’obstruction de capillaires sanguins par des globules blancs pourrait être à la base de cette baisse de débit, et il a pu quantifier l’impact de ces occlusions sur le transport de molécules. Ce travail excellent, et innovant est suffisamment opérationnel pour permettre d’aborder pour la première fois des liens entre occlusion capillaire, transport et maladie d’Alzheimer.

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Prix Théodore Ozenne

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(Doté par le Conseil Municipal pour un sujet ayant des implications économiques)

Lauréat : Mr. Alexandre PORTRON

Thèse : « Le « Fait de la création » – en droit de la propriété littéraire et artistique. Une proposition de lecture réaliste de l’article L. 111-2 du code de la propriété intellectuelle ».

La thèse propose une explication convaincante des conceptions modernes de la propriété intellectuelle, à partir d’une lecture réaliste du droit, et cela en conduisant à un retour aux théories aristotéliciennes de la causalité. Le paradigme proposé, fondé sur le réalisme philosophique, fournit une analyse causaliste de l’œuvre, en distinguant, dans le fait de réalisation qui concrétise l’œuvre de l’esprit en un objet matériel, les diverses causes en jeu. Ainsi, suivant la distinction aristotélicienne entre cause principale et cause instrumentale au sein de la cause motrice ou effective (qui est à l’origine de l’œuvre), M. Portron analyse successivement la question de l’agent de la réalisation et celle de l’instrument de la réalisation, afin de préciser au bout du compte la condition légale de cette réalisation. Cette thèse constitue un apport très significatif aux problèmes actuels de l’action culturelle, au travers des questions de l’œuvre et du droit d’auteur dans leur confrontation aux nouvelles technologies (intelligence artificielle, big data), et leur prise en compte par la législation. On rejoint ainsi les débats actuels sur l’œuvre culturelle et les évolutions de la propriété intellectuelle.

PRIX À CARACTÈRE LITTÉRAIRE Prix Alfred Duméril :

(histoire politique, sociale ou économique) Lauréate : Mme. Annelise RODRIGO

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Thèse : « Sauver les plus irremplaçables ? Une histoire du refuge

canadien par les associations pendant la Seconde Guerre mondiale ».

Dans cette étude, Mme Rodrigo retrace l’histoire de la mobilisation — et de l’échec — d’associations canadiennes qui venaient en aide aux « réfugiés » durant la Seconde Guerre mondiale. Cette coopération associative, qu’on nomme « le refuge », montre clairement la volonté d’accueillir et de secourir les juifs, et non-juifs, face aux dangers et persécutions qui menaçaient les populations européennes entre décembre 1938 et octobre 1945. La thèse met en évidence les minces résultats des efforts déployés par ces associations, prises entre l’attitude fermée de l’État canadien et l’attitude indifférente, isolationniste, voire parfois antisémite de la population. Elle s’inscrit ainsi dans l’histoire des réponses nord-américaines à la Shoah, en mettant l’accent sur ce qui a été fait et non sur ce qui aurait dû être fait. Cette recherche montre un vrai questionnement sur une période tragique, et propose des analyses nouvelles ainsi qu’une réflexion profonde et rigoureuse sur l’histoire du Canada au XXème siècle. Sa dimension humaniste permet, en résonance avec l’actualité, une réflexion sur l’antisémitisme en recadrant le débat sur la société civile, et cela dans une sphère qui n’est pas celle, habituelle, des discours ou des violences.

Prix Sydney Forado

(sujet à caractère historique) Lauréat : Mr. Lars ANDERSON

Thèse : « Essai de paléosociologie aurignacienne. Gestion des équipements lithiques et transmission des savoir-faire parmi les communautés établies dans le sud de la France ».

La recherche de M. Anderson intègre méthodologiquement plusieurs regards portés sur l’industrie lithique aurignacienne, l’érigeant ainsi en « fait social total ». Elle recoupe des études taphonomiques, technologiques, lithologiques, économiques, spatiales, et anthropologiques (psychologie du développement, apprentissage, division du travail) tout cela menés sur plusieurs sites, dont trois des plus grands d’Europe pour la période. Chacune de ces études de site, très poussée, voire perfectionniste, constitue une monographie en soi, et les approches méthodologiques différentes sont soigneusement étayées et hiérarchisées, parfois comme des modèles du genre, de sorte que l’ensemble fournit à son tour un modèle d’investigation des sociétés

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paléolithiques à partir de leurs industries lithiques. Ce travail porte la marque de la double formation de son auteur, de tradition anglophone (anthropologie sociale) et francophone (approche technologique des structures matérielles). Une telle recherche, impensable il y a une vingtaine d’années, fera date, et pas seulement pour l’aurignacien. C’est un véritable palier méthodologique qui est ainsi franchi.

Prix Henri Gaussen

(Sujet de biologie du développement animal ou végétal, ou d’écologie) Lauréate : Mme. Diane ESPEL

Thèse : « Développement d’une boîte à outils pour comprendre et prédire la dynamique spatiale et temporelle des macrophytes submergés : application aux écosystèmes fluviaux ».

Les recherches de Mme Espel visent à détecter, analyser et prévoir les dysfonctionnements créés par les variations des facteurs naturels et humains, dans les écosystèmes aquatiques des lacs et rivières, variations qui posent des problèmes aigus aux gestionnaires de la qualité des eaux, notamment en milieu urbain. Elle a choisi pour cela l’étude du comportement de deux espèces de macrophytes, qui peuvent servir de marqueurs et de critères d’évaluation. Mme Espel a ainsi conçu et mis en œuvre des matériels, des méthodes et des démarches souvent innovantes, qui visent à obtenir une réalité de terrain de référence, et à analyser la biomasse des herbiers pour fournir les données à insérer dans les algorithmes. Elle a également créé en laboratoire un dispositif de culture qui permet à la fois de bien maîtriser les valeurs et la stabilité des facteurs écologiques impliqués dans la dynamique des hydrosystèmes, et de recueillir en continu les réponses des macrophytes expérimentées. Les résultats déjà obtenus, reposant sur un nombre impressionnant de techniques, méthodes et concepts parfaitement maîtrisés, sont positifs et prometteurs, aussi bien dans le domaine fondamental, qu’appliqué.

Prix Pierre Maury

(Activités aéronautiques, astronomiques ou de la recherche spatiale) Lauréate : Mme. Marine RUFFENACH

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Thèse : « Optimisation de têtes de détection pour mesurer les protons et électrons des ceintures de radiations terrestres dans une gamme en énergie étendue ».

On sait que soleil émet continuellement des particules, très majoritairement des protons et des électrons, qui peuvent être piégés par le champ magnétique terrestre, constituant ainsi des ceintures de radiations appelées « ceintures de Van Allen ». Or, s’il existe des modèles permettant de connaître l’énergie, le type et la localisation de ces particules, très peu de mesures sont disponibles pour les protons de basse énergie pour lesquels les appareils de mesure sont massifs et volumineux. Mme Ruffenach a travaillé sur la réalisation de deux têtes de détection de ces particules qui peuplent la ceinture de rayonnement. La première détectera les protons de basses énergies et sera implémentée sur l’instrument ICARE-NG, et sur un logiciel permettant de différencier les traces d’électrons/protons, et de déduire l’énergie des protons incidents. La seconde tête, miniaturisée, permettra de discriminer dans 95 % des cas les protons et les électrons, et d’établir des gammes en énergie, et cela avec un instrument léger. Ces deux remarquables réalisations seront embarquées sur satellite dès 2021-2022.

Prix Picot de Lapeyrouse

(Sujet en rapport avec les sciences de la terre, des océans ou de l’atmosphère)

Lauréat : Mr. Clément FABRE

Thèse : « Rôle des zones humides alluviales dans la régulation des flux de nitrates et de carbone organique vers les eaux de surface à l’échelle des bassins-versants ».

L’utilisation croissante d’engrais azotés, accumulant les nitrates dans les eaux de surface pose de nombreux problèmes de traitement de l’eau potable et d’eutrophisation des écosystèmes aquatiques. Dans les zones humides alluviales, le processus de dénitrification est assuré par des bactéries dénitrifiantes, qui, en consommant le carbone organique provenant de la décomposition des débris végétaux convertissent les nitrates en diazote et autres dérivés. L’étude porte précisément sur les flux de nitrates et de carbone organique exportés par certains grands bassins-versants, et sur la régulation de la qualité de l’eau assurée par les zones humides alluviales. Les avancées ont été obtenues par la collecte exhaustive de données des travaux antérieurs portant sur les

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facteurs contrôlant les flux de carbone, de nitrates et de dénitrification, afin de modéliser la prédiction de la dynamique de ces paramètres. Ces modèles donnent des résultats exploitables, en utilisant des variables environnementales simples à obtenir, et pourront être exploités et optimisés dans le cadre d’autres bassins-versants. Cette thèse, récompensée en 2019 par le prix Escande, ouvre ainsi de nouvelles voies de recherche, sur l’influence du changement climatique sur les flux de carbone, ou sur les émissions des gaz à effet de serre dans ces zones alluviales.

PRIX À CARACTÈRE MÉDICAL

Prix Bretesche de médecine

(sujet de recherche clinique ou biologique ayant des applications médicales) Lauréate : Mme. Chloé Oudinet

Thèse : « Mécanismes transcriptionnels et épigénétiques dans la régulation de l’expression du locus IgH murin au cours du développement des lymphocytes B ».

Mme Oudinet s’est attachée à décrypter les mécanismes moléculaires, tant épigénétiques que transcriptionnels, qui régulent l’expression du locus IgH et son accessibilité aux différents types de recombinaison à l’œuvre dans le locus. Dans la mesure où la diversité des anticorps est générée par deux processus de recombinaison, avec cassure des deux brins de l’ADN et fusion de divers fragments, ces événements pourraient être liés à des activités de transcription ou d’inactivation de l’ADN par méthylation et acétylation épigénétiques. La relation supposée dès 1985 entre transcription et recombinaison faisait l’objet d’un vif débat en raison de résultats contradictoires. La thèse a clos ce débat en démontrant qu’on peut découpler les deux systèmes. L’ensemble des résultats, utilisant les méthodes moléculaires les plus performantes pour cette étude du système immunologique si complexe, représente un apport expérimental remarquable, qui revient avec des modèles novateurs et des approches originales, sur des questions posées depuis longtemps à propos des mécanismes qui contrôlent ces processus moléculaires et mêlent l’accessibilité chromatinienne et l’activation transcriptionnelle.

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Prix Edouard Maurel

(sujet d’hygiène ou de santé publique) Lauréate : Mme. Lola NEUFCOURT

Thèse : « Expliquer les inégalités sociales et territoriales dans l’hypertension artérielle : exploitation des cohortes française CONSTANCES et américaine HRS ».

Mme Neufcourt étudie les variations géographiques en matière de prévalence d’hypertension artérielle, à partir des données fournies par les cohortes française et américaine « Constances » et HRS. Elle met ainsi en évidence des différences régionales très importantes, et ne manque pas de croiser ces variations géographiques avec le rôle d’autres facteurs dont les plus pertinents sont le sexe et l’âge. Puis, au sein même des groupes de femmes ou d’hommes, l’analyse précise l’importance des différences d’éducation, de statut professionnel, le rôle du surpoids, ainsi que de la génétique et de l’hérédité. De même, parmi la diversité des facteurs explorés, l’alcoolisme, l’exercice physique, le niveau de revenus qui influe sur la « défaveur » sociale de la résidence, ont leur part. Toutes ces considérations prises en compte, démontrent la difficulté de l’objectif « d’expliquer les inégalités ». Les données fournies par Mme Neufcourt sur ce point sont exceptionnellement larges et puissantes, et les résultats obtenus sont novateurs, extrêmement intéressants, et ouvrent des perspectives très vastes, en matière aussi bien d’explication, que de prévention et de santé publique.

CONCLUSIONS

Il me reste à vous féliciter une nouvelle fois, vous les lauréates et lauréats, et à vous remercier, vous, mais aussi tous ceux qui n’ont pas eu la chance d’être retenus, pour la belle qualité scientifique des travaux qui nous ont été proposés, une qualité qui a rendu nos choix souvent difficiles. Il est par ailleurs de tradition de vous adresser, au moment où vous débutez de façon aussi prometteuse votre aventure scientifique, quelques mots d’accompagnement. Mes prédécesseurs ont ainsi insisté sur des thèmes

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importants, mais surtout sur la particulière exigence d’éthique et d’intégrité scientifique que requiert notre époque, et je ne peux que les rejoindre sur ce point. Nous sommes arrivés en un moment de notre évolution où le futur paraît désormais bien loin de la « fin de l’histoire » irénique sur laquelle on pensait pouvoir se reposer, et les craintes que suscite ce futur, alimentées par la méfiance vis-à-vis des institutions et de la science, peut facilement amener chacun à chercher sa propre vérité dans des chemins de traverse. On le voit bien avec les effets du complotisme, renforcés par le développement des réseaux sociaux, dans le domaine médical ou politique par exemple. Plus que jamais il vous appartient, dans ce rapport à la vérité, fragile et si souvent remis en cause, d’être des veilleurs vigilants et intègres au service de vos concitoyens.

Mais au-delà de ce rôle de garants de la vérité, vous avez aussi celui d’apporter des réponses aux attentes légitimes de la société à votre égard. Parmi ces attentes, il y en a une qui touche à la prise de conscience des dégâts causés par une conception mal comprise de « l’homme dominant la nature », que l’on souhaite voir évoluer en celle de « l’homme au sein la nature », dans une nouvelle approche d’écologie totale, qui associe l’indispensable progrès des techniques à celui des rapports humains et du respect de notre environnement planétaire. C’est à cette perspective de globalité, dans l’équilibre et la complémentarité, que répond la diversité des prix décernés par l’Académie, et vous y avez répondu de belle manière. Certains se sont consacrés au meilleur du « progrès technique » en l’accompagnant dans ses domaines les plus en pointe, qui font la fierté de la recherche toulousaine (moteurs-fusées, satellites, systèmes embarqués). D’autres se sont intéressés à l’homme lui-même, qu’il s’agisse de sa présence dans le temps (en remontant à la Grèce classique et jusqu’au paléolithique), des divers aspects de sa santé, du respect dû à sa personne ou de sa production scientifique et intellectuelle. Enfin, un bon tiers des thèses primées touchent aux questions climatiques, que ce soit à travers la mesure des radiations terrestres, l’analyse du niveau des océans, de la pollution et de la qualité des eaux, ou la prévision du temps.

Et on voit bien qu’ainsi, c’est à un même défi majeur que tous ces travaux aident à répondre, chacun sous un angle différent et dans son domaine spécifique, celui d’un progrès humain authentique, car replacé dans le cadre et la perspective d’une nature une et indivisible. C’est une belle image de la science que vous nous avez donnée ainsi, et c’est cela que notre Académie est heureuse de récompenser aujourd’hui.

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