Guerre de 14-18 et Pays Basque


« Comme en 14… »

Notre confrère Jean-Baptiste HIRIART-URRUTY nous communique  une compilation des 10 « billets » qu’il a fait publier dans Berrixka (*) entre décembre 2013 et mai 2014. 

 

(*) Berrixka (= Petite nouvelle) : journal du canton d’Hasparren (Pyrénées-Atlantiques) paraissant tous les quinze jours.

 

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Billet 1 (25 novembre 2013) 

« Comme en 14… »

«C’est reparti comme en 14…»; cette expression familière est appropriée pour indiquer que les manifestations de commémoration de la guerre de 14-18 ont bien commencé. Elles vont continuer à monter en puissance jusqu’à l’année prochaine, année qui devrait en être le point culminant. Nous l’avions anticipé, témoins les articles de journaux cités en références [1] et [2] ; voyons très brièvement ce qu’il est advenu depuis.

– Sur le plan national. L’annonce officielle du début des commémorations a été faite au niveau du pays le 7 novembre dernier. Une des premières actions importantes mise en œuvre fut ce qui a été dénommé « La Grande collecte », du 9 au 16 novembre. D’après ce que nous en savons (en prenant les informations auprès de la Bibliothèque d’études et du patrimoine de Toulouse, l’un des deux points de collecte à Toulouse), le résultat a été satisfaisant: des témoignages écrits, des lettres échangées par les soldats et leurs familles, etc. ont été recueillis et scannés. On peut regretter que le temps imparti, une semaine, était beaucoup trop court pour que les familles et les particuliers puissent effectuer leurs recherches et apporter les documents trouvés.

Dans le département des Pyrénées-Atlantiques, c’était le site des archives départementales à Pau qui était proposé comme site de collecte. Quoi qu’il en soit, tous ces documents seront triés et classés au niveau national, puis mis à la disposition du public via internet sur le site :

http://www.europeana1914-1918.eu/fr.

Deux autres sites (au moins) sont d’intérêt pour quiconque veut entreprendre des recherches ou simplement consulter :

http://centenaire.org/fr et

http://www.memoiredes hommes.sga.defense.gouv.fr

Le monde de l’édition n’est pas de reste puisque plus de 200 ouvrages sur le sujet ont été ou vont être publiés cet automne.

– Sur le plan régional (« Grand Sud-Ouest »), plusieurs organismes ou associations préparent des manifestations : par exemple, la section toulousaine de la Fondation Jaurès pour ce qui concerne la commémoration (le 31 juillet 2014) du centième anniversaire de l’assassinat de Jaurès (J. Jaurès a visité le Pays Basque en 1911, il en a fait état dans la « Revue de l’enseignement primaire » en octobre de la même année). Il y avait découvert les spécificités du pays et sa langue. Il serait intéressant d’en savoir plus sur cette visite : où a-t-il séjourné ? qui a-t-il rencontré ? etc.. Les villages, parfois parmi les plus petits, apportent aussi leur contribution. Ainsi, Larrazet, petite localité du Tarn-et-Garonne, a organisé le week-end des 23 et 24 novembre 2013 une série de conférences sous le titre général de « Soldats et civils à l’épreuve de la grande guerre 1914-1918 ». Je puis attester que, le samedi après-midi, il y avait deux cents participants, ce qui est remarquable pour une bourgade de taille modeste (640 habitants).

– Et à Hasparren ? Un appel à souvenirs a été lancé par la commission extra- municipale d’Hasparren, Ondarea à Eihartzea :

commission.histoire4@gmail.com.

Je ne doute pas qu’il y a des trésors dans les greniers des maisons ou enfouis dans les documents de famille, «paper zaharretan» (= «dans les vieux papiers»): objets, équipements, photos, correspondances. Par ailleurs, des associations, organismes ou institutions travaillent de leur côté sur le sujet (associations d’anciens combattants,

collèges et lycées d’enseignement, médiathèque, etc.).
Une prochaine fois, je relaterai ce que, personnellement, j’ai pu trouver dans les archives d’Hasparren : des documents lourds de signification et chargés d’émotion.

Remerciements

Je remercie la Commission Histoire d’Hasparren, notamment B. Cuburu-Ithorotz, de m’avoir permis de consulter les archives municipales datant de cette période et entreposées à la maison Eihartzea.

Références.
1. J.-B. Hiriart-Urruty, « Cent après la guerre de 1914-1918 », La Semaine du Pays Basque n° 1035 (août 2013).
2. J. Arotçarena, « La Grande Guerre objet de recherche », Sud-Ouest (4 octobre 2013).
3. Site de la fondation Jaurès : http://www.jean-jaures.org/2014.
4. Un exemple tiré du site http://www.memoiredes hommes.sga.defense.gouv.fr est la fiche du soldat Gratien Hiriart Urruty : né le 25 novembre 1893 (il y a exactement 120 ans !), mort en 1915 (à 22 ans !) dans un hôpital en Grèce. Voir une copie de cette ficheplusloin. Larubrique«parcoursindividuels»de«basesnominatives»dece site internet permet d’accéder à quelques informations sur les morts de la Grande Guerre.

 

3 Régions militaires basques

Les trois régions administratives constituant aujourd’hui ledit « Grand Sud-Ouest »

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Les régions militaires en 1914.

Statistiques des nombres de mobilisés et de morts :

  • –  Pour la 18ème région militaire (« Sud-Ouest atlantique », Bordeaux) : 406000 mobilisés, 63000 morts.
  • –  Pour la 17ème région militaire (Toulouse) : 261000 mobilisés, 46000 morts.
  • –  Pour la 16ème région militaire (Montpellier) : 337000 mobilisés, 57000 morts.
  • (Source : V. Bernard, Les Poilus du Sud-Ouest. Le 18ème corps dans la Grande Guerre. Editions Sud-Ouest, 2014.)

Memoire des hommes

Lettre décès

Document figurant dans les archives municipales d’Hasparren.

On notera, dans cette lettre adressée au maire, la formule type : « avec tous les ménagements nécessaires dans la circonstance… »

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Billet 2 (2 décembre 2013)

« Ceux de 14… »

« Ceux de 14… » ; c’est avec déférence que nous parlions – et qu’on nous faisait parler, à nous gamins des années 1960 – des anciens de la guerre de 14-18… Pour nous, c’étaient « des vieux », comme peuvent le penser tous les enfants à propos d’adultes au-delà de la soixantaine. Notre instituteur à l’école primaire des garçons St Joseph à Hasparren, Laurent Ayerza, avait lui-même été mobilisé lors de la guerre (J’ai entendu de mon père (né en 1909) que L. Ayerza (classe 1919) assurait ses enseignements à l’école primaire lors de ses permissions « soldado arropan » = « en tenue de militaire ») ; il nous inculquait le respect qu’on devait avoir vis-à-vis des combattants de Verdun et des autres.

– Mais, combien étaient-ils d’Hasparren ? Je n’ai pas de chiffre exact, mais des centaines assurément, car tous les jeunes entre 18 et 45 ans pouvaient être mobilisés, à titres divers (la dite « Territoriale » comprenait deux fractions : d’une part, celle mobilisable immédiatement, les territoriaux de 35 à 41 ans, et, d’autre part, les « réservistes territoriaux » au-delà de 41 ans, jusqu’à 45 ans et même plus pendant la guerre).

– Combien de tués ou de mutilés parmi ceux-là ? Plus de 200 (plus précisément : 198 tués ou disparus, 52 mutilés), c’est-à-dire 1 par semaine pendant toute la durée du conflit… Au niveau national, ce furent 1000 tués par jour pendant plus de quatre ans (Bien sûr, ce sont des moyennes car il y a eu des jours de combat avec 25000 morts, notamment en août 1914. Les cinq mois de 1914 furent d’ailleurs parmi les plus meurtriers de toute la guerre). La plupart étaient jeunes, issus des zones rurales du pays, et tous les villages étaient concernés; il suffit, pour une bourgade donnée, de prendre le nombre d’habitants en 1914 et d’appliquer une morbide règle de trois (3,2%), vous avez alors approximativement le nombre de jeunes tués. La plupart de ceux d’Hasparren étaient agriculteurs ou travaillaient dans les usines de fabrication de chaussures (Un homme politique de l’époque, F. Buisson, qui fut co-fondateur de la Ligue des droits de l’Homme et qui sera Prix Nobel de la paix (en 1927), disait que la France se divisait en deux groupes : « ceux qui possèdent sans travailler et ceux qui travaillent sans posséder… ». Les choses ont-elles vraiment changé aujourd’hui ?). Presque un fantassin sur trois, 30%, majoritairement issus de la campagne, mourra pendant la guerre.

– Qui était le maire d’Hasparren de l’époque ? C’était le Dr Pierre Broussain (de 1905 à 1919). C’est à la mairie qu’arrivaient les communiqués officiels sur l’état de la guerre, des combats…, enfin… ce qu’on voulait bien en dire.
– Comment étaient informées les familles ? C’est aussi à la mairie qu’arrivaient les terribles télégrammes annonçant la mort d’un jeune, « tué à l’ennemi » selon l’expression consacrée, ou « mort au champ d’honneur » ; parfois, c’est un peu plus précis sur le statut du soldat : c’est un « brancardier, zouave, sapeur, sergent, cavalier,… », ou bien sur la cause du décès : « mort à la suite d’intoxication par gaz », « mort dans l’ambulance à la suite de blessures », ou tout simplement « signalé sur un état de pertes». Le maire ou un conseiller municipal, souvent accompagné d’un gendarme, était chargé d’annoncer la nouvelle à la famille ; les télégrammes, dont beaucoup de copies sont restées dans les archives municipales, mentionnaient qu’il fallait faire part du décès « avec tous les ménagements nécessaires », ou « avec tous les ménagements de circonstances ». Les parents, voyant arriver au loin ou au seuil de leur propriété ces personnages comprenaient vite de quoi il s’agissait… Certaines familles ont eu plusieurs fils, parfois trois, tués à la guerre. Sur un autre cas, de la maison « Cachautea », deux frères ont été tués à trois jours d’intervalle en 1917. Les lieux de sépulture n’étaient pas toujours identifiés, souvent les familles n’ont jamais su où furent enterrés leurs fils tués… ou encore, les corps n’ont jamais pu être identifiés.

Le maire d’une bourgade du Périgord a raconté comment il a dû, à plus de cent reprises, annoncer aux parents le décès de leur fils au front. Il considérait que c’était son devoir mais, meurtri, il mettra à l’issue de la guerre un terme à sa carrière politique.

– Hasparren loin des champs de bataille ? Le département des Pyrénées-Atlantiques s’appelait alors « des Basses-Pyrénées ». Evidemment, Hasparren était fort loin des champs de bataille, ce qui explique sans doute des adresses un peu approximatives comme « Monsieur le maire de Sparray (B. Pyrénées) » que j’ai vue sur un télégramme. A cet égard, on a à l’esprit, car on l’a appris dans les enseignements d’histoire, que les lieux des grandes batailles étaient dans le nord et le nord-est de la Belgique, mais les lieux de tuerie furent aussi ailleurs en Europe : un tel, hazpandar (Ici comme par la suite, hazpandar signifie : habitant d’Hasparren) tué en Salonique, un autre à l’hôpital de Mondros dans les Dardanelles (Grèce), etc. J’ai vu que plusieurs jeunes hazpandars avaient été tués à la « bataille de Craonelle » (c’est dans Aisne, au sud du plateau du Chemin des Dames.)

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Billet 3 (20 décembre 2013)

« Tous touchés… »

On a parfois du mal à imaginer combien la première guerre mondiale fit de morts partout en France, dans les plus petits villages. Quand je visite une bourgade, il m’arrive parfois de jeter un coup d’œil au monument aux morts… il y a toujours une liste des jeunes morts à la guerre ; c’est d‘ailleurs pour moi une manière d’appréhender les noms de famille du coin. Comme je l’indiquais dans un billet précédent, à Hasparren comme ailleurs, nous avons eu l’occasion de côtoyer pendant notre enfance des anciens combattants de la première guerre mondiale. En laissant de côté des études généralistes, au niveau régional ou national, j’ai fait l’expérience suivante : partant de ma maison natale, Joanes-Ederraenia au quartier Hasquette, j’ai noté qui dans le voisinage immédiat avait été touché par la première guerre mondiale. Le résultat est édifiant: les familles les plus voisines me donnaient un échantillon représentatif des différents cas possibles : des tués, des blessés, des anciens combattants. Voici ces exemples :

– Des survivants. A Joanes-Ederraenia, dans les années 1955-1965, deux voisins venaient régulièrement donner un coup de main aux travaux des foins : Joanes de Malexiatea et Cachaŭ (ou Kaxaŭ) de Magnelania. Ils leur arrivaient de parler de leurs souvenirs de la grande guerre pendant les pauses-goûters de l’après-midi. Je crois que j’ai appris de Joanes la bataille des Dardanelles… Y était-il allé ? Je ne m’en souviens plus de manière sûre (Bataille des Dardanelles (1915-1916), sur la péninsule Gallipoli : le but des Alliés était de s’emparer de la mer de Marmara pour pouvoir assiéger Istanbul ; des troupes françaises y participèrent). Il évoquait aussi la Bulgarie, contre qui la France était en guerre, et où il était allé. Quant à Cachaŭ, il avait fait les quatre années de guerre juste après avoir terminé ses trois années de service militaire (Ladite « loi des trois ans » a fait passer en 1913 le service militaire obligatoire de deux à trois ans ; elle fut promulguée en vue de préparer l’armée française à une guerre éventuelle avec l’Allemagne ; cette guerre qui arrivera un an plus tard…), ce furent donc sept ans de sa jeunesse sans revenir chez lui…

– Des blessés. A Abituenia, famille voisine mais aussi liée par parenté, Jean-Pierre Hiriart-Urruty (1896-1971), dit Panpiale, avait été mobilisé à 18 ans ; il était revenu blessé au bras et conserva ce handicap toute sa vie. Du côté de la famille de sa femme, née Darraïdou, trois jeunes furent « tués à l’ennemi » (Les causes et lieux de décès, signalés entre guillemets, sont tels qu’ils figurent dans les documents des archives municipales ou dans les références de www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr) en 1917 et 1918.

– Des morts. En recoupant les informations figurant dans les archives avec celles se trouvant sur des sites internet dédiés, j’ai pu trouver :

Pierre Etchessahar, de la maison Malexiatea, probablement le frère du Joanes cité plus haut : né le 14 février 1889, tué le 31 juillet 1916 « dans le bois de Laufée (Meuse) ». Jean Ihitz, de la maison Gorriatea : né le 3 janvier 1888, « mort de blessures de guerre » le 14 février 1916 à Harbonnières (Somme).

Gratien Hiriart-Urruty, de la maison Latsaldia : né le 12 juillet 1893, mort « des suites de maladie contractée au cours des opérations de guerre » le 12 juillet 1915 à l’hôpital de Mondros (Dardanelles). Inhumé au cimetière franco-anglais de l’île de Lemnos, tombe 192.

Et on pourrait continuer… Baptiste Etchemendy, le grand-père d’un ami, tué le 29 mai 1915 (à 36 ans) à Aix-Noulette (Pas-de-Calais). La famille n’a jamais pu savoir où il avait été enterré. Les archives municipales font état pour lui de « l’octroi de la croix de guerre avec palmes » en 1916.

Ces quelques exemples montrent comment cette guerre frappait au plus près et de manière uniforme. Ce que j’ai noté, dans le voisinage le plus immédiat de ma maison natale, toute famille d’Hasparren pourrait le faire et y trouverait le même échantillon : des tués, des blessés, des survivants.

 

MdH2

 

 

Monument 1           Monument 2
«Monument des basques», érigé à Craonelle (Aisne) en mémoire des soldats provenant des Basses-Pyrénées qui ont combattu au Chemin des Dames pendant la première guerre mondiale. Ce monument représente un homme en costume traditionnel, coiffé d’un béret, regardant vers son pays et tournant le dos aux champs de bataille.

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Billet 4 (15 janvier 2014)

« Le début en août 1914… »

Quels sont les mécanismes, les enchaînements, les jeux d’alliance entre états qui ont fait que des peuples (pourtant civilisés) sont allés vers ce qu’on a appelé depuis « unsuicide collectif», «une guerre civile européenne», «une honte pour l’humanité » ? Ces questions sont l’objet d’innombrables études par les historiens, lesquels ne sont pas tous d’accord d’ailleurs…, et leurs études continuent. Le fait est qu’août 1914 marque le début de la plus meurtrière des guerres qui ait eu lieu jusqu’à cette date-là.

En 1914, Hasparren est une grosse bourgade de 5500 habitants, un nombre d’habitants qu’elle gardera avec une remarquable constance jusqu’à la fin du XXème siècle. Fin juillet et début août, c’est encore le temps des moissons… Quand le tocsin sonne à l’église et que l’ordre de mobilisation est annoncé et affiché, c’est le sentiment de tristesse qui domine.

– Les jeunes sont-ils partis avec enthousiasme, comme on l’a écrit parfois ? C’est de la propagande… ; « La première victime d’une guerre, c’est toujours la vérité » disait R. Kipling. Il est vrai que les esprits avaient été formatés et conditionnés, à l’école (la fameuse récupération de l’Alsace-Lorraine), à travers les journaux, par le clergé aussi (L’évêque A. Baudrillard prononça cette phrase terrifiante le 16 août 1914 : « Je pense que ces événements sont fort heureux. Il y a quarante ans que je les attends. La France se refait et, selon moi, elle ne pouvait pas se refaire autrement que par la guerre qui la purifie ». Cela ne l’empêchera pas de devenir plus tard cardinal puis membre de l’Académie française…), par la pression sociale du « devoir à accomplir », de l’hypothétique gloire « du sang versé pour la patrie », ce qui fait que tous ces jeunes partirent résignés plutôt qu’enthousiastes. Un voisin, Panpiale, racontait qu’au départ vers le front on les faisait chanter et composer des bertsus.

Notre instituteur à Hasparren, que j’ai déjà évoqué au début du Billet 2 avait deux chansons basques favorites, qu’il nous apprenait ; l’une d’entre elles était « Iruten ari nuzu » (= « Je file ma quenouille »). C’est une chanson mélancolique, triste même, qu’on chante rarement dans des réunions festives. Ce n’est que plus tard, à l’occasion de mes lectures, que j’ai appris que c’était l’hymne des soldats basques quittant leur pays pour aller au front.

Certes, chaque préfecture ou sous-préfecture (Bayonne, Pau, Tarbes, Mont-de- Marsan, etc.) est fière de son régiment, mais au-delà de l’entrain manifesté par certains, tous les mobilisés et les personnes qui les accompagnent savent à quoi s’en tenir.

– Y a-t-il eu beaucoup de déserteurs ou d’insoumis ? Beaucoup moins que ce que les autorités militaires avaient envisagé… La situation frontalière du Pays basque et les relations de parenté avec des familles d’émigrés basques en Amérique du sud auraient pu faire penser à un plus grand nombre de déserteurs… Ce ne fut pas le cas ; par exemple, pendant toute la durée de la guerre, le nombre des déserteurs en Soule a été estimé à quelques dizaines tout au plus. Dans un article écrit en 1923 dans la revue Gure Herria, l’abbé Foix, curé de Sainte-Engrâce, a la fierté (ridicule à mon sens) d’écrire que, dans sa paroisse, ils n’ont été que trois ([1, pages 32-33]).

Le 18 août 1914, le préfet Coggia des Basses-Pyrénées (que l’on trouve très présent dans toutes les activités administratives de soutien à la guerre) envoie une lettre- circulaire aux maires du département, où il prescrit : « de faire rechercher avec la plus grande rigueur les hommes qui se seraient soustraits à leur devoir militaire à l’heure grave que traverse la France ».

Voici ce qu’écrit M. Ruquet ([2]) à propos de la mobilisation et des désertions dans des régions frontalières des Pyrénées : « Dans les Pyrénées, la mobilisation se fait avec angoisse, surtout en ce qui concerne les femmes, et l’enthousiasme semble limité aux centres urbains. L’apathie des populations du Pays Basque et de la Cerdagne et les départs vers l’Espagne des habitants de ces régions marquent un attachement moins grand à la nation ». Plus tard dans la guerre, après les mutineries, des permissions seront limitées pour soldats des régiments des régiments du Sud-Ouest, par crainte de désertions vers l’Espagne. Le général J.C. Graziani, de l’état-major général, avait même proposé en septembre 1915, la suppression pure et simple, à quelque titre que ce soit, des permissions pour les soldats des régions pyrénéennes. Ajoutons que la discipline militaire était impitoyable, plus impitoyable dans l’armée française que dans l’armée allemande ou dans l’armée britannique.

– Les réquisitions. Elles concernaient le bétail, le fourrage, les vins, la laine, les cuirs, les peaux, les haricots… Mais aussi et surtout les chevaux au début, si importants pour le déplacement des hommes et des armes. Plus tard dans la guerre viendra l’heure des emprunts nationaux… car la guerre coûte très cher. Dans les archives municipales d’Hasparren figure un texte publicitaire savoureux, écrit en langue basque sous l’égide du précepteur de l’époque, et qui incite à souscrire avec les mentions suivantes : « c’est bien rémunéré », « rassurez-vous, personne n’en saura rien »…

– Les premières batailles d’août 1914? Elles furent terribles, parmi les plus meurtrières de toute la guerre. La hiérarchie militaire prône « l’offensive à tout prix », les soldats sont bien repérables avec leurs tuniques bleues et leurs pantalons rouges… Les casques ne viendront qu’en 1915. Ladite « bataille des frontières » sur les frontières franco-belge et franco-allemande fera jusqu’à 25000 tués dans une journée. Dans des combats comme ceux de Bertrix (commune francophone de Belgique) ou de Charleroi, des régiments du Sud-Ouest furent engagés et rapidement décimés par les mitrailleuses allemandes. On imagine le désarroi des jeunes hazpandars, ou basques de manière plus générale, arrachés à leur pays et aux leurs, dans un tourbillon mortifère qui leur échappe, ayant parfois des difficultés à comprendre les commandements ou à communiquer (car leur connaissance du français pouvait être faible)… Pourtant, certains témoigneront et écriront (en français ou en basque) dans une belle écriture déliée (que je ne retrouve plus sur les copies de mes étudiants !). Ce sont tous ces témoignages que les familles auront à cœur d’exhumer des greniers de leurs maisons.

Savait-on ? Savait-on en 1914 qu’on s’engageait pour une guerre si meurtrière et qui allait durer plus de quatre ans ? Sûrement pas… Le fait est que cette guerre changera complètement le cours et la physionomie de tout le XXème siècle. C’est un terrible coup d’arrêt à beaucoup de projets envisagés au début du siècle. Ainsi, la voie ferroviaire qui avait été conçue et préparée pour relier Cambo à l’intérieur du pays en passant par Hasparren sera définitivement abandonnée.

Références
1. Ikerzaleak, 1914-1918. Une petite vallée du Pays basque dans la guerre. Publié sous l’égide de la maison du patrimoine à Mauléon (2006).
2. M. Ruquet, Désertions et insoumissions sur la frontière des Pyrénées pendant la guerre de 14-18, in Mémoire et trauma de la Grande Guerre ; Bretagne, Catalogne, Corse, Euskadi, Occitanie. Université de Rennes II (2010).

18e RI

Les soldats du 18ème R.I. de Pau au départ.

Pour ce régiment, le mois de septembre 1914 a été le plus destructeur de toute la guerre avec 577 tués. Il a eu 1027 tués lors des trois premiers mois du conflit (août, septembre et octobre 1914), soit 30 % du total des tués du régiment pendant toute la guerre.

Mobilisation

L’affiche de mobilisation,

telle qu’elle a dû être placardée à Hasparren et dans tous les villages de France. On notera que le texte imprimé était déjà prêt, que la date a été ajoutée de manière manuscrite.

Soldat Basque

Un hazpandar mobilisé comme il y en a eu des centaines… Ils sont plutôt ruraux, petits, résistants à la marche… et ils devront beaucoup marcher.

Livret Militaire

Chaque jeune doit conserver son fascicule de mobilisation entre la fin du service actif (22 ou 23 ans) et le dégagement définitif des obligations dans la territoriale, à 45 ans.

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Billet 5 (1er février 2014)

« La vie à l’arrière s’organise… »

Après le départ des mobilisés vers les différents fronts de la guerre, le travail (agricole, industriel), le commerce, les communications, tout doit se réorganiser à l’arrière… Des éléments supplémentaires sont à gérer : les blessés qui viennent se faire soigner, les réfugiés qui affluent du nord de la France et de la Belgique, etc.

– Réorganisation de l’activité agricole et industrielle.

Pour les travaux des champs, les bras manquent… Les femmes prendront en partie la relève mais ça ne suffira pas : une partie des terres sera laissée non cultivée ; les labours d’automne 1914 seront négligés ; les terres à blé deviennent des prairies et l’élevage gagne du terrain.

Une bonne part des activités industrielles se délocalise vers le centre et le sud de la France ; ainsi la région de Toulouse, érigée au rang de base arrière industrielle, connaît un changement sans précédent pour se placer résolument au service de l’effort de guerre : chimie, métallurgie, textile ; débuts de l’industrie aéronautique et aussi celui des usines d’armement (obus, pièces d’artillerie, gaz de combat, habits et chaussures pour soldats). Les femmes qui y étaient employées étaient appelées « les munitionnettes ». Dans cette guerre, la plus terrible qu’ait connue l’humanité jusqu’alors, c’est l’avènement de « la mort à l’échelle industrielle » ; ce ne sont plus seulement les baïonnettes, fusils ou autres canons légers qui vont tuer mais bien les mitrailleuses et, surtout, les obus. Un chiffre résume ceci : 2/3 de tous les tués ou blessés l’ont été par des obus.

Les tramways des villes (comme Bordeaux et Toulouse par exemple) se féminisent soudain, faute de conducteurs. Cette féminisation aura des conséquences pendant et, surtout après, la guerre. N’oublions pas toutefois que la Chambre des Députés leur avait accordé le droit de vote, ce que le Sénat leur refusa ! Il faudra attendre pour cela la fin de la deuxième guerre mondiale… Pourtant ce sont elles qui ont « tenu les baraques » à l’arrière du front.

– Les hôpitaux-hospices à l’arrière.

A Hasparren comme à Mauléon (et dans d’autres grosses bourgades) sont aménagés des hôpitaux pour accueillir et soigner les blessés évacués du front. Des hazpandars nous ont dit qu’il subsistait des photos ou des cartes postales de l’hôpital de Hasparren ; c’est l’occasion de les ressortir et de les faire voir. Nous en proposons une plus bas. Le cas de Biarritz, et plus généralement celui de la Côte Basque, a été étudié très en détail par J. Rocafort ([1]) : durant toute la guerre, à Biarritz, une moyenne de 1500 à 2000 blessés seront soignés chaque jour.

– Les réfugiés.

Parmi les réfugiés, un cas important est celui des belges. Il y avait même un Consulat de Belgique à Bayonne, pour, c’est son intitulé, « les Basses-Pyrénées, le Gers et les Landes ». Certains, flamands, parlaient très peu le français ; inutile de dire les difficultés dues à la langue qu’ils ont rencontrées au début, dans des villages où on parlait plus volontiers le basque que le français. Les réfugiés étaient généralement « placés » dans les fermes pour aider et suppléer l’absence des hommes partis pour la guerre (comme on l’a souligné au paragraphe précédent). Un exemple fort intéressant est celui d’Achille Venmans (1890-1960), fuyant l’envahisseur allemand en Belgique et arrivé en Soule à 24 ans ; il y fera souche… Son petit-fils, que j’ai connu au collège de Mauléon, porte le même prénom que son grand-père ; certains lecteurs ont deviné qu’il s’agit du souletin propriétaire de plusieurs bars successifs à Bayonne, où le prénom d’Achille figure bien en évidence (« Chez Achille »). Le grand-père se maria en Soule, s’installa comme artisan à Mauléon, et je crois me souvenir que les Venmans furent pour beaucoup dans le développement d’un club de football à Mauléon.

Référence
1. J. Rocafort, Avant oubli. Soldats et civils de la Côte Basque durant la Grande Guerre. Ed. Atlantica, Biarritz (1997).

Arriere

Les femmes remplacent les hommes dans les travaux des champs

(Source : ECPAD : Etablissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense).

Wattwoman

Les femmes remplacent les hommes…

Ici, ce sont les « wattwomen » (à Bordeaux), ainsi dénommées car elles conduisent des tramways électriques (Source : 1914-1918. Notre région dans la guerre. Hors-série de « Sud-Ouest », février 2014).

Arsenal

Les femmes remplacent les hommes…

Ici, ce sont les «munitionnettes», à la fabrication de douilles pour cartouches de fusil à l’arsenal de Toulouse (1917).

Hopital 1

Des hôpitaux de fortune sont organisés partout à l’arrière. Ici, à Larressore (Basses- Pyrénées), ce sont des blessés gazés qui sont soignés. Le bon air du Pays basque y était déjà reconnu et apprécié…

Hopital 2

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Billet 6 (15 février 2014)

 

« A mon commandement ! »

Comme toutes les guerres, la première guerre mondiale a fait la part belle aux dirigeants politiques et militaires du moment. D’ailleurs, tous nos livres d’histoire sont émaillés de noms de généraux, généralissimes, maréchaux… Ils ont aussi laissé leurs noms à des rues ou places de nos villes. En y pensant, viennent à l’esprit, en rafale: Clémenceau, Jaurès, Poincaré, Barthou, Caillaux, Doumergue (pour les hommes politiques), Foch, Joffre, Gallieni, de Castelnau, Lanrezac, Lyautey, Nivelle, Franchet d’Esperey, Pétain (pour les militaires). Notre « Grand Sud-Ouest »1 (Comme dans un billet précédent, j’entends par « Grand Sud-Ouest » la réunion des trois régions administratives que sont Aquitaine, Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon), au sens large, a été associé, d’une manière ou d’une autre, à ces personnalités. Voyons brièvement ce qu’il en est.

– Militaires

F. Foch est né à Tarbes ; une avenue porte son nom à Bayonne, Toulouse, Tarbes, etc. Il y a un « Lycée Foch » à Rodez. J. Joffre est né à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) ; un collège à Rivesaltes et un lycée à Montpellier portent son nom. J. Gallieni est né à St Béat (Haute-Garonne) ; il y a un « lycée Gallieni » à Toulouse. E. de Castelnau est né en Aveyron et mort à Montastruc-la-Conseillère (Haute-Garonne) ; il perdit trois fils lors de la première guerre mondiale. L. Franchet d’Esperey est mort à Saint- Amancet (Tarn) ; il perdit son fils et son frère pendant la grande guerre. R. Nivelle est né à Tulle (Gamin, j’ai connu une ritournelle de cour de récréation : « Nivelle, ce chien qui fuit quand onl’appelle… » ; mais ce n’est pas de ce général honni qu’il s’agit). H. Lyautey, qui fut ministre de la guerre lors de la première guerre mondiale, est, lui, davantage lié au Maroc. Un lycée porte son nom à Casablanca. Nos souvenirs d’enseignement d’histoire en école primaire nous rappellent qu’il y avait une ville du Maroc dénommée Port-Lyautey, à une trentaine de kilomètres au nord de Rabat ; elle s’appelle maintenant Kenitra. Notre instituteur à Hasparren, L. Ayerza, que j’ai déjà évoqué lors d’un billet précédent, avait une vénération pour lui ; il lui attribuait cette phrase, que, ma foi, je trouve très juste : « quand on est pressé, il faut aller lentement… ». J’évoquerai plus loin le général Ch. Lanrezac.

Ont-ils été de bons dirigeants militaires ? C’est aux historiens et aux experts de juger… Leurs avis ont d’ailleurs évolué, au fur et à mesure que les archives ont été dévoilées, et ils ne sont pas toujours d’accord. Certains de ces généraux étaient « pour l’offensive jusqu’à l’excès » (Joffre), d’autres pour « une défense offensive » (Lanrezac, Pétain). Ils avaient en tout cas une lourde responsabilité, celle de gérer ce que certains appelaient de manière cynique « la chair à canon » ou « le combustible humain ».

Je reste un peu perplexe en voyant qu’on a donné ces noms de militaires à des établissements d’éducation (collèges, lycées) ; ils auraient été plus appropriés pour des casernes ou zones militaires… Mais cela témoigne encore une fois de l’impact de la première guerre mondiale et de ses « gloires » sur toute la vie du XXème siècle.

– Hommes politiques

Comment ne pas évoquer dans cette rubrique Jaurès ? J. Jaurès naquit à Castres et fut assassiné à Paris à la veille du déclenchement de la guerre. Plusieurs rues, places ou établissements scolaires portent son nom. J’ai même connu des collègues scientifiques russes dont le prénom était Jaurès. G. Doumergue est né à Aigues- Vives dans le Gard. L. Barthou, né à Oloron, a laissé son nom à un lycée de Pau.

– Lanrezac : une anecdote personnelle

Quand j’ai passé le baccalauréat, les épreuves orales étaient obligatoires, même si on avait de bonnes notes aux épreuves écrites, et ces oraux se déroulaient à Pau. Parmi les matières des épreuves orales figurait l’histoire-géographie, dont le programme comprenait précisément la première guerre mondiale… Je tombe sur ce sujet, que je connaissais bien car j’avais déjà du goût pour l’histoire, et je déroule mes connaissances, en évoquant notamment « les coups de boutoir du général Lanrezac » (je reprenais de tête ce qui figurait textuellement dans mon cours d’histoire). Là, l’examinateur m’arrête et me pose la question suivante: «connaissez-vous un descendant du général Lanrezac ? ». J’étais bien en peine pour répondre, mais ce fut l’occasion pour l’examinateur de le faire : « un descendant du général Lanrezac est Roger Lanzac… ». R. Lanzac, qui avait donc raccourci son nom, était à l’époque un animateur de télévision et radio ; il fut aussi très populaire avec ses émissions à Télé-Dimanche, sans oublier le fameux « Jeu des mille francs ».

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Billet 7 (1er mars 2014)

« Les nouvelles…, quelles nouvelles ? »

Au début du XXème siècle et quand la guerre éclate, la presse écrite est, pour l’essentiel, le seul moyen de diffusion de l’information. Elle reste peu lue, mais un journal acheté transite par plusieurs lecteurs ou familles. Qu’en est-il de cette presse au début et pendant la guerre ?

– Au niveau national. Dans sa très grande majorité, la presse nationale est servile et censurée. En relisant certains des titres ou articles de cette époque, on reste abasourdi devant les inexactitudes publiées, les énormités véhiculées, le ton guerrier et cocardier adopté, bref tout ce qui ressort du « bourrage de crâne ». Par exemple, la presse française est la seule en Europe qui ne publie pas les pertes de guerre. Dans Le Temps du 4 août 1914 on peut lire l’énormité suivante : « Les statistiques des dernières guerres montrent que plus les armes se perfectionnent, plus les pertes diminuent » (!). En 1918, lorsque ladite grippe espagnole frappera la France (le canton d’Hasparren ne fut pas épargné), les données relatives aux décès seront tenues secrètes pour ne pas informer du fait que l’armée pouvait être affaiblie. Les soldats au front se plaindront à travers leurs écrits de ce « bourrage de crâne », eux qui sont confrontés à la dure réalité des combats. Ils créeront d’ailleurs leurs propres journaux. Ce n’est pas un hasard si le Canard enchaîné est fondé à cette époque, en septembre 1915. Il s’agit, pour les autorités du pays, de ne pas affaiblir le moral de l’armée et de la population civile… L’ « espionnite » est présente partout, surtout en début de conflit ; des centaines de censeurs sont recrutés.

– Sur la Côte Basque. Quelques journaux sont publiés à Bayonne et Biarritz, ils ont toutefois un périmètre de diffusion et un lectorat bien limités ; en particulier, peu sont diffusés vers l’intérieur du pays. Au Pays basque, c’est l’hebdomadaire Eskualduna qui domine (rédigé un peu en français, essentiellement en basque). Son cas mérite un regard particulier.

– L’hebdomadaire Eskualduna. On écrirait aujourd’hui Euskalduna (= Le Basque). Fondé en 1887, il va durer jusqu’en 1944 ; il fut interdit à la Libération en raison de ses prises de position pro-Vichy et pro-allemandes. L’hebdomadaire basque qui a pris la suite est Herria; il est tiré aujourd’hui à environ 3000 exemplaires. Abonné de longue date, c’est avec plaisir que je le reçois chez moi chaque semaine (généralement la semaine suivant sa parution le jeudi, toutefois). Cet hebdomadaire, d’obédience catholique nette, est l’élément de presse écrite le plus diffusé au Pays Basque, non seulement par abonnements mais surtout parce qu’il est vendu au sortir des églises le dimanche. Au début et pendant la Grande Guerre, il aura plus de 7000 acheteurs réguliers. Un des rédacteurs proéminents est le chanoine Jean Hiriart-Urruty (1859-1915), souvent appelé par son prénom en basque Manez (ou Manex)(On le confond parfois, y compris dans les références de Wikipédia, avec un autre abbé Jean Hiriart- Urruty (1927-1990), de la maison voisine Abituenea à Hasquette, lié par parenté avec la famille de Joanes-Ederranea. Celui-ci dirigera à son tour, dans les années 1960, l’hebdomadaire Herria). , originaire de la maison Joanes-Ederraenea au quartier Hasquette, mon grand-oncle en fait. Il « tiendra » l’hebdomadaire jusqu’à sa mort en 1915. C’était un redoutable polémiste, à la plume facile et acérée. Il n’empêche que c’était aussi un sectaire de premier ordre : il en avait contre les juifs, les francs-maçons,… bref contre tout ce qui n’allait pas dans le même sens que lui (du point de vue religieux et politique). Une volumineuse thèse a été récemment consacrée au suivi de la première guerre mondiale dans Eskualduna (réf. 1) ; elle comprend plus de 700 pages et est rédigée en basque. On peut espérer qu’un livre plus réduit en volume, qui en retiendrait l’essentiel, pourra être diffusé. En attendant, le lecteur pourra se contenter de lire le résumé d’une trentaine de pages qui peut être téléchargé à partir du dernier onglet des archives internet où est déposée la thèse. Pendant toute la guerre, l’hebdomadaire, publié en deux grands feuillets, consacrera tous ses articles ou presque à la guerre. Un censeur, lisant le basque, avait été désigné pour le surveiller; il n’a pas vraiment eu besoin d’intervenir… L’attitude du journal était ultra-patriotique, anti-allemande, et d’un parti pris religieux des plus manichéens. Voici des exemples de thèmes défendus : « les basques sont de bons français et de bons soldats », « la guerre est une punition de Dieu », « Dieu est du côté des français », « les allemands sont des dégénérés, des moins que rien », « nos armes sont supérieures aux armes allemandes ». Parfois, il s’agit de moqueries sur les noms des dirigeants allemands ; ainsi le ministre Hohenhorn, que Manez Hiriart-Urruty fustige en Adar gorak (= les cornes hautes)(Manez Hiriart-Urruty connaissait l’allemand, qu’il enseignait… Il s’en est servi dans ses écrits pour ironiser sur les noms. Il est intéressant d’observer que Manez Hiriart-Urruty et Jean Jaurès avaient quelques similitudes : nés la même année (en 1859), morts à une année d’intervalle (en 1914 et en 1915), tous les deux férus de philosophie et d’allemand qu’ils enseignaient, journalistes et écrivant beaucoup, attachés à leurs régions d’origine et à leur spécificités,… mais pas du même bord politique. Se sont-ils rencontrés lors du séjour de Jaurès en Pays Basque en 1911 ? Nous n’en savons rien). D’autres fois, il se réfère à des choses que les lecteurs, paysans pour beaucoup, connaissent, les animaux par exemple. En voici une phrase, tirée de l’éditorial du 23 juillet 1915 (réf. 2) ; il s’agissait de commenter les coups de boutoir de l’armée allemande et de l’échec que Manez lui prédisait : « Emak hor, marroa, koska eta koska, higatuko zaizkik adarrak gu garaitu baino lehen » (= « Vas-y, mon bélier, cogne, cogne, tu vas t’user tes cornes avant de nous battre »). Avec les éditoriaux et les nouvelles locales, l’hebdomadaire publiait des nouvelles envoyées du front par les soldats du Pays Basque. Parmi ces personnes qui écrivaient, un autre hazpandar, Pierre Duhour (1890-1968), alors engagé dans la Marine.

– Les hazpandars dans la presse basque. L’évocation de cette période douloureuse qui va marquer et conditionner tout le XXème siècle est l’occasion de rappeler le rôle primordial que les hazpandars ont joué dans l’écriture journalistique basque depuis un siècle : outre les deux Jean Hiriart-Urruty et Pierre Duhour mentionnés au-dessus, il y a P. Xarriton (1921-) et Janbattitt Dirassar (1937-), qui écrit dans Herria depuis une cinquantaine d’années. Ce dernier est originaire du quartier Celhay mais a des racines à Hasquette par sa mère. Je terminerai donc cette note par un clin d’œil un peu chauvin, en disant qu’Hasparren, et plus particulièrement son quartier Hasquette, a fourni au journalisme et à la presse basques plus que tout autre commune.

Références

1. E. Videgain, La première guerre mondiale dans l’hebdomadaire Eskualduna. Thèse de doctorat soutenue en 2012 auprès de l’université de Bordeaux III.
2. Jean Hiriart-Urruti, Ni kazeta-egilea naiz ; Artikulu, Berri, Ixtorio . Edité par X. Altzibar, Bilbao Bizkaia Kutxa Fundazioa (2004).

Lettre 1

Lettre d’un hazpandar, qui sera tué l’année suivante, datée du 20 juillet 1915 : « Nous voila donc arrivés du côté des Dardanelles… »

Journal

Première page de Eskualduna, de la première semaine d’Août 1914 :

La guerre commence – Vive la France ! Les pays voisins sont avec nous.
Pourtant, l’Espagne n’entre pas en guerre, et l’Italie n’y entrera que l’année suivante.

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Billet 8 (15 mars 2014)

« Mon cher papa… »

« Mon cher papa,… Ma chère maman,… Mon cher petit,… », c’est par ces phrases que débutaient souvent les lettres que lesdits « poilus » écrivaient du front à leurs familles restées au pays. Ces lettres, lourdes d’émotion, furent nombreuses et il en reste bien des traces encore aujourd’hui.

– Ecrire pendant la guerre. Les mobilisés font partie d’une génération qui a appris à lire et à écrire, fruit de l’école de la IIIème république. Certains sont plus à l’aise que d’autres, certains préfèrent écrire dans la langue ou patois de leur région ; par exemple, des lettres écrites en basque ne furent pas rares. Ce sera à peu près la même chose pour les prisonniers en Allemagne lors de la deuxième guerre mondiale. Que contiennent ces lettres ? Comme on s’en doute, les soldats donnent des nouvelles de leur santé, pas de la localisation de leur régiment (çà leur était interdit), demandent des nouvelles de leurs familles et s’inquiètent des travaux des champs et du bétail (n’oublions pas que la France de 14-18 est rurale et que beaucoup de ces appelés sont des travailleurs de la terre). Au fur et à mesure que la guerre s’avance, ils s’expriment sur l’absurdité de la situation, s’énervent contre les « planqués » et les « embusqués » à l’arrière, contre les ordres militaires et leurs chefs aussi… Beaucoup de recueils de ces lettres ont été publiées, il y en a sûrement d’autres classées dans les vieux papiers ou greniers des campagnes, au Pays basque notamment. Si vous entrez dans une librairie ces jours-ci, vous y verrez tout un étalage de rééditions de ces livres de lettres ou de témoignages. Je signale quelques titres en référence, en m’en tenant à des publications récentes.

Lire ces lettres est parfois difficile, bouleversant, insoutenable même… Imaginez- vous, jeune mobilisé, complètement perdu au bout de la France, couchant quelques mots sur un bout de papier : « Mon cher papa… ». Pire, imaginez un père ou une mère recevant un courrier avec les dernières nouvelles d’un fils… Parfois, c’est carrément un soldat qui va monter à l’assaut (avec de fortes chances d’y être tué) qui adresse ses dernières recommandations de conduite dans la vie au petit qu’il a laissé au foyer « Mon cher petit… ».

– Ecrire après la guerre. Certains de ceux qui sont revenus ont voulu témoigner une fois la guerre terminée, au retour dans leurs foyers ou pays ; parfois c’était bien des années après. Là, les écrits vont au-delà de simples témoignages vécus, les auteurs analysent les causes de la guerre (selon eux), expriment des rancoeurs contre les institutions (l’état, le clergé, des corps constitués), et tous parlent de l’horreur de cette guerre et s’interrogent si elle aurait pu être évitée (exemple de titre : « Ah ! si on avait écouté Jaurès »).

– Expression après la guerre. A leur retour, les « poilus » ne parlaient pas beaucoup de la guerre, ils en avaient trop souffert et, surtout, ils avaient en tête tous leurs camarades, des proches, tués au front… Ils étaient très assidus au travail de mémoire comme aux cérémonies de souvenirs. Comme on les comprend ! Par le brassage des populations issues de régions diverses, par l’ultra-nationalisme inculqué durant des années, ils étaient revenus avec une « francitude » accrue. Légalistes, ils étaient prêts à défendre l’Etat ou, du moins, l’ordre établi. A cet égard, il me revient à l’esprit l’anecdote suivante, et je termine là-dessus.

Lors des événements et des désordres de Mai 68, les étudiants étaient perçus comme des nantis et les protestataires comme des gauchos enragés. Je me souviens de ce patron de bar sur la route allant de chez moi vers le bourg à Hasparren, appelons-le B., vétéran de la première guerre mondiale, homme serviable mais bourru, commentant les manifestations de jeunes au Quartier Latin à Paris : « Ah, si j’avais ma sulfateuse de 1914, je mettrais vite au pas ces jeunots ! »… Le lecteur devinera ce que signifiait pour lui une « sulfateuse »…

Références

– Jean, classe 1915 ou Lettres volées à l’oubli, par R. Gau. Publié sous l’égide des Mémoires des Pays d’Oc (2011). Basé sur des documents authentiques qui retracent la vie d’un jeune méridional tué sur le front d’Artois à 20 ans.
– J.-P. Guéno, Paroles de poilus (Lettres et carnets du front 14-18) ; Les poilus (Lettres et témoignages des Français dans la Grande Guerre). Livres réédités à l’occasion du centenaire ; Editions Librio. Ils sont « légers en poids et en prix » (3 euros).

– G. Sicard, L. Sicard, un médecin toulousain. Des tranchées de l’Aisne aux monts de Champagne (1915-1918). Lettres découvertes dans un carton au hasard d’un déménagement et publiées sous forme de livre en 2011.
– Les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914-1918. Editions La Découverte/Poche. Un grand classique, régulièrement réédité, en 2013 dernièrement.

– V. Bès, Journal de route 14-18. Le carnet d’un soldat castrais de la Grande Guerre. Publié en 2010. Excellent témoignage. Le jeune Victorin Bès ne se contente pas de décrire ; il avance son analyse des événements, marquée d’un humanisme laïque et jaurésien. – H. Charbonnier, Une honte pour l’humanité. Journal d’un soldat (mars 1916-septembre 1917). Edhisto (2013).

– Ch. Patard, Si on avait écouté Jaurès. Notes de guerre et correspondance 1914-1917. Editions Privat (2014).
– Le dégoût de la guerre de 1914. Textes choisis et présentés par G. Heuré. Editions Mercure de France (2014).

 

Pourcentage tues

Pourcentages de tués dans les départements d’Aquitaine

(Source : 1914-1918. Notre région dans la guerre. Hors-série de « Sud-Ouest », février 2014). A Hasparren, ce taux atteint 3,6%.

 

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Billet 9 (2 avril 2014)

« La commémoration, comment s’y retrouver ?… »

Les manifestations liées à la commémoration de la Grande Guerre vont s’accélérer à l’approche du centenaire de la déclaration de la guerre au début du mois d’août, pour diminuer en intensité, sans doute, par la suite. Tout le monde s’y est mis : la presse écrite, les radios et télévisions, les maisons d’édition, etc. Comment s’y retrouver ? Nous donnons ici quelques pistes et points d’entrée, sans prétendre à l’exhaustivité.

– Le monde de l’édition. 250 ouvrages sur le sujet ont été ou vont être publiés, cela a commencé l’automne dernier. Si on veut s’en tenir à des livres comme je les affectionne, c’est-à-dire « légers en poids et en prix », je conseillerais ceux-ci :
J. Becker, La grande guerre, Collection « Que sais-je ? », Presses Universitaires de France, 2ème édition mise à jour en 2013

F. Pernot, 1914, La fin d’un monde…, Collection « Champion l’histoire », Editions Champion (2014)
ou bien, plus illustré,
J.-P. Verney, La guerre 14-18, Collection «Les mémos Gisserot», Editions J.-P. Gisserot (2014).

Pour des volumes plus volumineux et denses, s’en tenir aux historiens spécialistes du sujet, tels
P. Miquel, Les Poilus. Terre humaine, Editions Plon (2000). Réédité en 2013 dans la collection Pocket.

R. Cazals & A. Loez, 14-18, Vivre et mourir dans les tranchées. Editions Tallandier (2012).
C. Prochasson, 14-18, Retours d’expériences, Collection « Texto, le goût de l’histoire ». Editions Tallandier (2008).

A côté d’ouvrages sérieux, par des historiens spécialistes du sujet, il y a aussi des livres écrits à la va-vite, sans vraie profondeur historique, tels
M. Gallo, 1914 : le destin du monde et 1918 : la terrible victoire, XO Editions (2013).

– La presse régionale. Voici, parmi d’autres, trois documents publiés par les quotidiens régionaux :

La Grande Guerre et le Grand Sud. Supplément de 28 pages de « La Dépêche du Midi », publié en janvier 2014.
1914-1918. Notre région dans la guerre. Hors-série de « Sud-Ouest », publié en février 2014.

V. Bernard, Les Poilus du Sud-Ouest. Le 18ème corps dans la Grande Guerre. Editions Sud- Ouest, 2014.

– Les sites internet. Comme cela fut indiqué dans le Billet 1, tous les documents collectés auprès des particuliers sont triés et classés au niveau national, puis seront mis à la disposition du public via internet sur le site :

http://www.europeana1914-1918.eu/fr.

Trois autres sites (au moins) sont d’intérêt pour quiconque veut entreprendre des recherches ou simplement consulter, les voici :

http://centenaire.org/fr 

www.crid1418.org

(ce site propose des ressources et des textes permettant de poursuivre la réflexion, en particulier à travers un Dictionnaire en ligne de témoignages de 1914-1918) ;

http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr.

Je recommande plus particulièrement ce dernier site où, via l’onglet « Rechercher dans les bases nominatives », on peut retrouver trace des tués (de sa famille, de son voisinage, etc.). Enfin, je voudrais citer aussi le site de Pathé (distributeur britannique de films) qui a collecté des centaines de petits films muets sur la période 1914-1918 :

http://www.britishpathe.com (VW1-The Definitive Collection).

– La télévision. Les documentaires intitulés « Apocalypse : la première guerre mondiale » et diffusés trois semaines de suite, le mois dernier, le mardi soir sur France 2, ont connu un grand succès, ce qui n’est pas étonnant. Un documentaire fiction « Qui a tué Jaurès ? », tourné dans le Tarn et à Toulouse, sera diffusé sur France 5 en mai. Je ne doute pas que les chaînes de télévision continueront à diffuser des émissions de ce type.

– Près de chez nous.

Exposition « Les Basses-Pyrénées dans la Première Guerre Mondiale », du 7 novembre 2014 au 23 janvier 2015, aux archives départementales à Bayonne. Cette exposition itinérante présentera la vie du département de 1914 à 1918, du départ des soldats aux commémorations de la guerre. Elle sera composée de panneaux reproduisant des documents d’archives.

Exposition « Bayonne pendant la Première Guerre Mondiale », en mai 2014, à La Médiathèque de Bayonne.
– Chaque région ou commune participe à sa façon à la commémoration. En voici un exemple original: A la mairie de Bègles, la dictée du Certificat d’Etudes sera proposée chaque année de 2014 à 2018; ce sera celle du millésime du siècle précédent. Première édition le 24 mai 2014. Dommage qu’on n’y ajoute pas l’examen dit « de calcul »… on aurait sans doute des surprises avec les écoliers actuels ! Le Certificat d’Etudes représentait à l’époque, et même jusqu’aux années 1960, un diplôme qualifiant important, plus que le Baccalauréat de nos jours, car il donnait facilement accès à un travail.
– Hasparren ne sera pas de reste puisqu’au moins une conférence avec Eric Mailharrancin est prévue pour la fin de l’été 2014 ; elle portera sur les combattants basques dans la première guerre mondiale. Il est l’auteur de l’ouvrage intitulé : « Les oubliés du chemin des dames », Editions Elkar (2008)

D’une manière générale, une inscription sur le site contact@centenaire.org permet d’être régulièrement informé par courrier électronique de toutes les manifestations (expositions, conférences, etc.) organisées en France.

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Billet 10 (16 avril 2014)

« Et si ça ne s’était pas passé comme cela ?… »

Le genre de fiction qualifié d’uchronie consiste à réimaginer le cours de l’Histoire en ne suivant pas les faits tels qu’ils se sont déroulés. Nous l’adoptons dans ce dernier billet à propos de la première guerre mondiale.
« Et si Jaurès n’avait pas été assassiné ? », « Et si les allemands avaient gagné la bataille de la Marne en septembre 1914 ? », « Et si simplement la guerre était restée localisée à la Serbie et l’Autriche-Hongrie ? ». On pourrait multiplier ainsi les questions de ce type… d’autant plus qu’on ne peut pas y répondre. Il est néanmoins naturel de se les poser. Essayons-en quelques unes.

Et si Jaurès n’avait pas été assassiné ? On a bien senti, et cela était net dans les réactions de l’époque, qu’avec l’assassinat de Jaurès le 31 juillet 1914, la dernière digue contre la guerre était rompue… « Maintenant, c’est sûr, c’est la guerre » pouvait- on lire dans certains journaux. A cette époque, le journal régional La Dépêche du Midi ouvrait ses colonnes à des personnalités comme Clémenceau, Jaurès, ou d’autres. Voici ce qu’écrivait Jaurès dans son éditorial du 30 juillet 1914 : « Devant la formidable menace qui plane sur l’Europe, j’éprouve une sorte de stupeur et de révolte proche du désespoir… c’est à cette barbarie que se retournent dix-huit siècles de christianisme et cent années de démocratie… Il semble qu’il suffit de la maladresse d’un diplomate pour que des millions et des millions d’hommes soient appelés à se détruire… ». Le lendemain, il était assassiné… Mais quelle force et quelle vision dans cette phrase ! (Il y a quelques jours, en mars 2014, l’université de Toulouse-le Mirail dans laquelle on vient étudier les sciences humaines et les langues notamment, a pris officiellement le nom de Jaurès. Je suis ravi en tant qu’individu, et fier en tant qu’universitaire, que cette appellation, en projet depuis des années, lui soit finalement donnée. Des jeunes du Pays basque vont y étudier, jusqu’au niveau doctorat, dans les domaines comme l’Histoire, les langues, et les cultures régionales).

– Et si la guerre était restée localisée à la Serbie et l’Autriche-Hongrie ? Les historiens s’accordent à dire aujourd’hui que la première guerre mondiale n’était pas inévitable… Il a fallu une réaction en chaîne comme dans une expérience chimique incontrôlée, à partir de l’étincelle de Sarajevo, pour que tout s’embrase… Pourtant, au départ, le conflit n’était qu’entre la Serbie et l’Autriche-Hongrie…

– Et si, tout simplement, il n’y avait pas eu de première guerre mondiale?

Assurément, tout le XXème siècle en aurait été complètement changé… Une première conséquence qui découle de cette hypothèse est qu’il n’y aurait pas eu de deuxième guerre mondiale, tant la première a été la matrice de la deuxième. L’Europe, qui est ressortie de cette première guerre exsangue et affaiblie de manière durable, a laissé le leadership mondial qu’elle avait jusqu’au début du XXème siècle, ce sont les Etats- Unis d’Amérique qui prendront la relève

– Des vainqueurs de la guerre… quels vainqueurs ? Nous avons tous appris en Histoire que la France faisait partie du camp des vainqueurs de la première guerre mondiale… Mais comment peut-on dire qu’un pays qui a eu 1400 000 jeunes fauchés en quatre années a « gagné » quoi que ce soit ? Et je ne parle pas des mutilés, des civils tués, blessés, ou déplacés… Ces jeunes ont manqué dans la première moitié du XXème siècle : ils auraient été agriculteurs, artisans, commerçants, instituteurs, curés, médecins, poètes, musiciens, que sais-je…, auraient fondé des familles, contribué à la vie et à la richesse du pays. Au lieu de cela, nous avons des monuments aux morts, jusqu’aux plus petits villages, dans les coins les plus reculés du pays…

Voici ce que disait Neville Chamberlain à propos des « vainqueurs » d’une guerre :

« Dans une guerre, quel que soit le camp qui puisse se dire vainqueur, il n’y a pas de gagnants, il n’y a que des perdants ».
– Une telle guerre serait-elle possible aujourd’hui ? C’est une question difficile, chacun probablement a son opinion… Je crois personnellement que non, du moins dans le contexte européen. Dans ce nouveau siècle, la population est plus éduquée, les jeunes des différents pays circulent et échangent davantage, l’information circule à grande vitesse… Mais, du côté des dirigeants politiques et militaires, il peut toujours y avoir cette folie d’envoyer des millions de jeunes s’entretuer, comme ce fut le cas pour ladite grande guerre d’il y a un siècle.

Une phrase latine ancienne dit : « Si vis pacem, para bellum », ce qui veut dire : « Si tu veux la paix, prépare la guerre »… Non, vraiment, il faut changer cette phrase en celle- ci : « Si tu veux la paix, prépare… la paix ! ». A méditer, y compris du côté des diplomaties en charge de l’Ukraine…

Jean-Baptiste HIRIART-URRUTY