Quelques mots du Président


« Travailler pour l’incertain aller sur la mer, passer sur une planche »

Ces mots figurent, sous des formes diverses, dans plusieurs fragments de ce que l‘on appelle les Pensées de Pascal.

La pandémie actuelle a fait apparaître partout, particulièrement en France, un besoin de certitudes. On a voulu que la science fût immédiatement efficace, sans discussion possible. Si elle ne réussissait pas, c’est qu’elle était corrompue, incapable, donc dangereuse. On oubliait trop, me semble-t-il, que la science est une aventure sur des terrains essentiellement inconnus, et que, si elle réduit certaines incertitudes, elle ne cesse aussi d’accroître le champ des interrogations. Elle débat. Elle crée des débats. Elle avance par validations successives, et, souvent, retours critiques sur des idées qu’elle croyait certaines. Cela ne signifie pas qu’elle soit aléatoire, qu’elle ne produise aucune vérité solide, et qu’il faille lui préférer toutes sortes de sorcelleries. Elle nous aide à « passer sur une planche », à prendre des risques calculés. Toujours en mouvement, elle accroît nos possibilités de mouvement dans l’incertain dont elle augmente toujours l’importance. Elle « travaille pour l’incertain ».  

Le travail d’une Académie des Sciences et des Lettres n’est pas d’établir le livre de la vérité ultime. Il est d’essayer de maintenir et de développer l’esprit des Lumières, qui est un effort conscient pour établir des vérités certaines, les diffuser, avec la conviction que le monde est beaucoup plus vaste et complexe que ce que nos savoirs certains ne nous en disent. Plus nous savons du ciel, plus nous en sentons l’immensité inconnue et prodigieusement complexe. Plus nous examinons scientifiquement les minuscules causes de nos maladies, plus nous découvrons l’étendue infinie des questions qu’elles provoquent. Tant pis. Tant mieux. Nous mettons un peu de lumière dans la nuit. Nous ne détruisons heureusement pas la nuit. Tel est un des sens de la vieille devise de notre académie, qui remonte au temps de Pascal : lucerna in nocte.

Notre Académie peut et doit veiller à favoriser l’échange des savoirs validés entre ses membres et la diffusion en diverses directions, et par divers moyens, des vérités que l’activité critique a rendu certaines, ainsi que les interrogations que produit la création de ces vérités. Elle ne combat pas l’angoisse par des discours simplistes. Elle invite à l’inquiétude intelligemment partagée pour essayer ensemble de vivre mieux. Elle critique les fausses nouvelles par un heureux effort de lucidité. 

La nécessité de nous préserver ensemble des effets dangereux du COVID 19 a contraint l’Académie des Sciences et Lettres de Toulouse à suspendre pendant des mois ses activités internes et ses activités en direction des publics qui assistent aux conférences de la salle Clémence Isaure. Nous ne savons pas ce que va être la suite de l’épidémie actuelle. Comme le souligne régulièrement Max Lafontan, le virus qui en est la cause est « une bête trop inconnue pour que nous puissions faire les fanfarons ». Nous en savons cependant davantage sur lui qu’au mois de mars 2020. Nous avons appris à vivre un peu moins mal avec lui.  Les savoirs que plusieurs de nos membres ont contribué à élaborer en biologie, en médecine, en chimie, en physique, voire en histoire ou en philosophie aident à des progrès. La diffusion la plus large possible de ces savoirs est un impératif en société démocratique face aux peurs irraisonnées et aux enthousiasmes imbéciles que créent les dangers. Cela nous invite à poursuivre et à développer les travaux que nous menons depuis des siècles.

Nous chercherons aussi vite que possible, et au mieux, à reprendre les séances publiques de notre académie. Nous essaierons de donner à des hommes et à des femmes de savoir l‘occasion de parler ensemble et de transmettre des connaissances parmi les beautés de l’hôtel d‘Assézat. Nous chercherons à trouver les moyens de nous réunir, soit directement dans notre Salon rouge soit par les moyens qu’offre la technologie depuis quelques années. 

Nous ne savons heureusement et malheureusement pas ce que l’avenir nous réserve. Nous travaillons pour l’incertain. La confiance en nos traditions est une planche pour aller sur la mer. Rien ne nous interdit de rester fidèles à Pascal, qui échangea beaucoup avec Fermat, dont les images paraissent partout dans nos locaux, et dont nous ne saurons jamais avec certitude s’il démontra l’illustre théorème qui porte son nom. 

« Incertitude, ô mes délices » s’exclamait Guillaume Apollinaire. Vivons au mieux, savamment, avec elle.                                     

                                                                                    Yves Le Pestipon 

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