Site archéologique et naturel de Montmaurin par Marcel Delpoux


LE SITE ARCHÉOLOGIQUE ET NATUREL DE MONTMAURIN (HAUTE-GARONNE) : HISTOIRE DU DÉBAT POUR SA SAUVEGARDE ET SA SANCTUARISATION

Communication à l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse le 13 février 2014.

Par M. Marcel DELPOUX

La décision préfectorale du 10 avril 2009 d’autoriser l’ouverture d’une carrière industrielle à granulats dans le karst de l’interfluve Save-Seygouade sur la commune de Montmaurin, a déclenché un vif débat entre les partisans de cette ouverture et ceux déterminés à sauvegarder un patrimoine préhistorique, archéologique, historique et naturel exceptionnel. Après avoir rappelé les caractéristiques du site menacé, les principales étapes du débat seront exposées.

Un haut lieu de l’humanité et de la nature

A 75 km au sud-ouest de Toulouse, à l’extrémité occidentale des « Petites Pyrénées », les communes de Lespugue et Montmaurin se développent sur, et autour, d’un dôme karstique (1) entaillé, du sud au nord, sur ses 3 km de large, par les gorges pittoresques de la Save à l’est, par la vallée moins encaissée de son petit affluent la Seygouade, à l’ouest. Il correspond à une structure anticlinale constituée par des calcaires lithographiques à algues et milioles dano-montiens correspondant aux couches les plus anciennes de l’ère tertiaire : 65 à 59 MA (millions d’années). Le dôme s’ennoie, au sud- ouest, sous les sables de Montmaurin, les grès d’Esclignac et les calcaires de Sarrecave du thanétien (59 à 56 MA), à l’ouest, au nord et à l’est, sous divers calcaires et molasses à bancs calcaires beaucoup plus récents de l’helvétien et du tortonien inférieur : 16 à 11 MA. Tous ces terrains jouxtant le dôme karstique, appartiennent à la bordure méridionale du vaste Bassin aquitain. Au sud et au sud-est du même dôme, des terrains beaucoup plus récents, peu épais, masquent des substrats plus anciens. Ils ont été mis en place pendant l’ère quaternaire : 2.5 MA à nos jours. Ce sont des colluvions limoneuses à galets (revers sud du karst, jusqu’à la limite nord du village de Montmaurin notamment), des colluvions limoneuses et rubéfiées au sud du village de Montmaurin et au sud-est du village de Lespugue et des alluvions organisées en terrasses d’altitudes et d’âges variés, édifiées pendant les différentes phases du creusement des vallées de la Save et de la Seygouade.

Les calcaires du dôme karstique ont été impliqués dans l’orogenèse pyrénéo-alpine. Les formations du tertiaire moyen relèvent des processus sédimentaires aquitains. Les alluvions ont été déposées par les constituants du réseau hydrographique actuel. Les processus d’altération périglaciaires du quaternaire et l’anthropisation ont joué un rôle dans la genèse des colluvions. Un environnement continental s’est peu à peu substitué aux formations marines en vigueur jusqu’à la fin de l’ère secondaire. Des faunes et flores terrestres variées ont colonisé des substrats très diversifiés soumis par ailleurs, au cours de ces dizaines de millions d’années, à des variations climatiques considérables expliquant des changements très importants de leurs caractéristiques biologiques. Outre les substitutions d’espèces liées à l’évolution générale de la biosphère comme la grande radiation des mammifères, des oiseaux, ou des angiospermes chez les végétaux, des successions de types écologiques allant des faunes et flores tropicales du début de l’ère tertiaire aux faunes et flores froides des périodes glaciaires de l’ère quaternaire sont observées. Leurs restes fossilisés démontrent que de grandes migrations animales et végétales ont fait transiter, dans l’interfluve Save-Seygouade et ses environs, de nombreuses espèces et populations très variées.

Qu’en est-il de l’homme ? Quasiment « dernier né » de la biosphère, il est arrivé très tard sur notre planète et encore plus tard en Europe occidentale. Dans l’interfluve et ses environs, des traces d’occupation humaine très ancienne ont été découvertes. Les auteurs abordant les problèmes de chronologie, se basant sur des preuves directes (restes humains fossilisés) ou indirectes (outillage, objets d’art, faunes et flores associées aux restes humains dans les sédiments garnissant les nombreuses fissures et cavités du dôme karstique, etc.), font remonter, suivant les points de vue, cette occupation à 150-200 KA (milliers d’années) (2, 101) et peut-être plus. Les faits démontrent par ailleurs une présence humaine continue depuis les colonisations les plus anciennes découvertes sur le dôme et ses environs : atelier de façonnage de bifaces dans les sables de Montmaurin et les grès d’Esclignac au paléolithique ancien (prémices de l’ère moustérienne) (3, 5 et 95) ; mandibule humaine pré-néandertalienne (4, 515) et autres restes humains dans le complexe des grottes de la Niche et de Coupe-Gorge dans la vallée de la Seygouade ; Vénus de Lespugue en ivoire de mammouth (23 KA) dans la grotte des Rideaux, rive droite des gorges de la Save ; villa gallo-romaine du Ier au IVème siècles après J.-C. sur la basse terrasse, rive gauche de la Save, 1.2 km en amont de l’entrée amont des gorges de la même rivière (5) ; site thermal et cultuel de la Hillère (6), contemporain de la villa citée ci-dessus à l’entrée amont des gorges ; château féodal en haut de la falaise rive droite des gorges de la Save, à proximité du village de Lespugue ; château plus ancien, fin XIIème, début XIIIème siècles, du Castet (7, 76-96) sur l’éperon dominant le défilé de la Seygouade sur sa rive droite ; etc. Entre, et autour, de ces sites ayant donné lieu à ces prestigieuses découvertes, existe une « nébuleuse » (8, 41) de gisements paléontologiquement et archéologiquement « fertiles ». Cette précocité et cette permanence de l’occupation humaine, sont expliquées par la diversité des caractéristiques géologiques, géomorphologiques, pédologiques, hydrologiques, climatiques, au total, écologiques, de ce territoire aux confins du système pyrénéen et du Bassin aquitain, par les basses altitudes comprises, la plupart, entre 300 et 400 m, par sa position à l’extrémité ouest de la dernière ride nord pyrénéenne calcaire (Petites Pyrénées) et au nord du plateau détritique de Lannemezan, glacis d’accès aux Pyrénées proprement dites. Cette diversité fondamentalement géologique et géomorphologique, est à l’origine de celle des habitats : souterrains dans le karst (grottes) ; de plein air très variés sur le karst et les affleurements périphériques : soulanes sèches et ensoleillées ; abris sous roches ou versants ombragés ; eau abondante autour de la résurgence de la Save à l’entrée sud de ses gorges ; coteaux et plaines voisines plus ou moins fertiles. Cette diversité a offert aux populations végétales, animales et humaines successives, des « stations-refuge » permettant de compenser et d’atténuer les effets des grands changements climatiques survenus pendant les glaciations quaternaires et pendant les périodes plus douces à plus chaudes des interglaciaires.

A ce titre, les composants actuels de la végétation naturelle (9) survivant dans les espaces non cultivés, c’est-à-dire essentiellement sur le dôme karstique, démontrent nettement le rôle de ces « stations-refuge ». Cette végétation naturelle actuelle est essentiellement constituée par des espèces adaptées au climat atlantique atténué régnant dans l’interfluve. Chênes pédonculés et surtout chênes pubescents et leurs cortèges dominent sur les terrains plats ou peu inclinés. Les rives des deux rivières sont occupées par des végétaux classiques du bord des eaux. Aulnes glutineux, peupliers et saules, accompagnés de leurs cortèges arbustifs et herbacés, y forment une galerie continue. Les soulanes, chaudes et sèches, aux sols peu épais, ont porté, de temps très anciens (10, 197 à 200,206) jusqu’à un passé récent, quelques chênes verts (11, 69), (12, 402,403), et sans doute leur cortège de plantes méditerranéennes, mais ces peuplements ont été détruits par des carrières sur la bordure méridionale du karst. Dans le bas des versants ombragés, caractérisés par des sols et substrats épais, plus riches en argile et humides, surmontés par des atmosphères locales fraîches à froides, le hêtre et d’autres plantes montagnardes, comme le lys martagon et la mélique uniflore, occupent une place non négligeable. Le chêne sessile et le charme, espèces médio européennes, et leur cortège, s’insinuent entre les plantes de la hêtraie et les plantes atlantiques. Au total, on observe sur une faible surface, de moins de 400 hectares, une « mosaïque » végétale impliquant des espèces représentant les principaux types d’indicateurs écologiques de la flore française, voire européenne, à l’exception des indicateurs des hautes montagnes et des milieux littoraux. L’abondance du chêne pubescent, du chêne pédonculé, du châtaignier et de la végétation du bord des eaux s’explique par leur adaptation aux conditions climatiques actuelles, modifiées par la grande perméabilité des substrats karstiques et l’abondance de l’eau près des rivières. Par contre, il faut voir dans les peuplements à exigences climatiques différentes, les témoins de peuplements anciens favorisés par des caractéristiques paléoclimatiques très différentes. Par exemple, le hêtre et les plantes montagnardes, abondantes de nos jours sur le front nord pyrénéen à partir de 800 m d’altitude, prédominaient en plaine et sur les basses collines de la région, pendant les périodes glaciaires froides et humides. Les périodes froides et moins humides de ces mêmes âges, ont favorisé l’implantation du chêne sessile et du charme venus du centre et du nord-est de la France, voire d’Europe moyenne. Quand les paléoclimats sont devenus moins rigoureux, les plantes d’altitude ou de plus hautes latitudes ont régressé, remplacées par les plantes atlantiques (cortège du chêne pédonculé) ou subméditerranéennes (cortège du chêne pubescent). Les plantes des milieux froids ne se sont maintenues que dans les stations fraîches à froides décrites ci-dessus, justifiant le terme de « station-refuge » retenu pour les désigner. A l’inverse, les indicateurs végétaux méditerranéens (chêne vert et espèces de son cortège), ont atteint l’interfluve pendant les périodes xérothermiques du quaternaire (10, Ibid.) et n’ont pu survivre aux refroidissements ultérieurs, que dans les « stations-refuge » chaudes et sèches des soulanes du versant méridional du dôme karstique (12). Telle est l’histoire, très simplifiée, qu’on peut proposer pour expliquer la mise en place de cette structure a priori complexe, mais très cohérente, de la végétation observée dans les nombreux biotopes de l’interfluve et de ses abords.

Cette diversité se retrouve dans les faunes inféodées aux différents milieux et à leurs composantes végétales originales : cincle plongeur de la Save, martinet alpin nichant en haut des falaises calcaires des gorges, pic noir et grand-duc des forêts voisines, diverses espèces de chauves-souris, etc., beaucoup étant protégées à très protégées par des directives nationales, européennes ou mondiales. Les populations humaines successives ont elles mêmes bénéficié des caractéristiques de ce site exceptionnel.

La diversité et l’intérêt de ces biotopes et de leurs occupants pris individuellement ou en biocénoses, expliquent le classement, dès 1987 (13), de la totalité de l’interfluve en ZNIEFF (Zone Naturelle à Intérêt Ecologique, Floristique et Faunistique) de type 1 par le Muséum National d’Histoire Naturelle. Ce classement a été confirmé en 2010. On trouve rarement sur le territoire français, des sites où une telle diversité biologique se retrouve avec autant de netteté. On peut citer, mais avec moins d’interpénétrations, la région du Mas d’Azil dans les Petites Pyrénées, un site dans le Plantaurel au sud de Mirepoix, le Sarladais en Dordogne, le dôme permo-triasique de la Grésigne et ses environs aux confins du Tarn et du Tarn-et-Garonne, le massif de la Malepère à quelques kilomètres au sud-ouest de Carcassonne, le Massif de la Sainte-Baume en Provence.

Tel est le décor exceptionnel occupé, exploité, façonné, avec de plus en plus d’efficacité et d’intensité par les populations humaines arrivées là depuis un grand nombre de millénaires. S’ajoutant aux composantes naturelles déjà dignes d’intérêt et de respect, les découvertes paléontologiques, anthropologiques, archéologiques et historiques permettent de considérer l’interfluve Save-Seygouade comme un Haut Lieu de l’Humanité et de la Nature. De nombreux chercheurs ayant travaillé sur le site, ou le connaissant, l’ont déjà exprimé avec des formulations variées : Louis Méroc (†), archéologue, ancien Directeur de la Circonscription archéologique de Midi- Pyrénées, inventeur du site de Coupe-Gorge — « une succession de couches […] unique dans les Pyrénées et peut être dans le monde » (14, 10) — ; Yves Coppens, Professeur au Collège de France, Membre de l’Institut, co-inventeur de Lucy — « sanctuariser Montmaurin » (15) — ; Jean Clottes, Conservateur général honoraire du patrimoine, Président du Comité international sur l’Art rupestre, — « il serait donc préférable de renoncer à un tel projet dans une zone aussi sensible » (16) — ; Henry de Lumley, Directeur de l’Institut de paléontologie humaine, Président du Centre européen de recherches préhistoriques de Tautavel, — « les célèbres sites de Montmaurin […] constituent des sites exceptionnels de renommée mondiale » (17) — ; Bruno Maureille, Directeur du laboratoire d’anthropologie des populations du passé, Université de Bordeaux 1 — « le projet […] fait fi de toute précaution patrimoniale dans une zone particulièrement riche en sites dont certains sont uniques dans l’histoire de l’Humanité » (18) ; Georges Larrouy, Président honoraire de l’Université Paul Sabatier de Toulouse et de l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse — « avec la prestigieuse villa gallo-romaine […], la célèbre mandibule ou le crâne du lion des cavernes, […], la Vénus de Lespugue, ont fait la renommée internationale de Montmaurin » (19) — ; José Braga, Professeur d’anthropologie à l’Université Paul Sabatier de Toulouse, Directeur de la Mission archéologique française en Afrique du Sud — « le site de Montmaurin fait indiscutablement partie d’une dizaine de sites européens remarquables (avec Tautavel notamment) » (20) — ; François Bon, Professeur de préhistoire à l’Université de Toulouse- Jean Jaurès — « Montmaurin a encore beaucoup de choses à révéler aux préhistoriens » (21) — ; Josette Renault Miskovsky et Michel Girard, palynologues impliqués dans les recherches archéologiques, respectivement Directeur de Recherches émérite au CNRS, Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris et Chercheur associé au Centre de Valbonne, CNRS (Alpes-Maritimes) — « la disparition incontrôlée des archives de la Préhistoire parvenues du fond des âges jusqu’à nous serait une catastrophe identique à celle qu’engendrerait l’incendie d’une bibliothèque renfermant des ouvrages fondamentaux anciens et uniques » (22) ; etc.

Un site menacé, un débat long et vif

Au cours des millions d’années, des millénaires et des siècles,un morphosite de grande valeur patrimoniale s’est donc mis en place, mais ses constituants ont eu des destins variés, depuis la permanence jusqu’à la disparition plus ou moins complète ou définitive. Différentes démarches humaines, autonomes, complémentaires, contradictoires ou conflictuelles ont, peu à peu, contribué à remonter le temps et ont fait prendre conscience, avec plus ou moins de lucidité, des potentialités très variées de l’interfluve Save-Seygouade et de ses environs immédiats. Parmi les démarches autonomes, on peut citer celles du comte René et de la comtesse Suzanne de Saint-Périer qui, parmi leurs nombreuses préoccupations scientifiques et culturelles, s’intéressèrent à l’archéologie et à la préhistoire. Ils fouillèrent diverses grottes situées sur la commune de Lespugue et découvrirent, le 9 août 1922, la prestigieuse Vénus citée ci-dessus. Dans le même type de démarches, on peut citer celles des géologues, spéléologues, archéologues, préhistoriens, historiens, géographes, ornithologues, herpétologues, entomologistes, botanistes, phytogéographes, etc. qui ont décrit, cartographié et expliqué les caractéristiques du site concerné.

Parfois, ce sont des démarches indépendantes de toute préoccupation scientifique, qui conduisent à des découvertes et suscitent des travaux de recherche et en même temps des inquiétudes chez les personnes sensibles à la dégradation des paysages et des traces ou vestiges du passé. La plus importante dans l’interfluve, est celle des carriers qui voient dans le dôme karstique une source précieuse de pierres à bâtir et, plus tard, de granulats pour empierrer routes et chemins. Les premières carrières, très artisanales, mettent en œuvre de faibles moyens : pelles et pioches, petites doses d’explosifs, transport des matériaux avec des charrettes à traction animale, etc. La première est ouverte vers le haut du versant rive gauche des gorges de la Save, à peu de distance de leur sortie nord. Lorsque l’entaille, encore visible de nos jours, commence à défigurer le site, la décision est prise d’arrêter l’exploitation. L’activité se développe alors sur les calcaires du même dôme, dans la vallée de la Seygouade. Avec le temps, la puissance d’abattage des roches augmente. Une collaboration fructueuse est constatée entre certains carriers et archéologues. Il faut, à ce titre, saluer la mémoire d’Isidore, Jean et François Miro. Outre leur précieuse collaboration apportée aux fouilleurs de la villa gallo-romaine (notamment à Georges Fouet pendant plusieurs années), ils ont facilité les travaux des archéologues dans leurs carrières. Ceci explique l’attribution, le 20 mars 1950, à ces autochtones éclairés, de la médaille d’argent avec diplôme de la Société archéologique du Midi de la France. De plus, la famille Miro s’est vue confier la protection des trouvailles archéologiques qui ont donné lieu à la création du Musée de Montmaurin. Thérèse Miro et ses enfants y assurent l’accueil du public et les visites guidées. Avec les concessionnaires ultérieurs, les travaux de fouille sont de moins en moins bien acceptés. La mécanisation des exploitations augmente encore la vitesse des travaux et les volumes de calcaire extraits. Le rythme des artisans n’est plus en harmonie avec celui des archéologues. Ces derniers, sont même conduits à faire « des récoltes dans les déblais des carriers » (4, Ibid., 511) dans des sites aussi prestigieux que ceux de Coupe-Gorge et de la cavité voisine de la Niche. C’est dans cette dernière, dont l’accès a été pourtant rendu possible grâce aux travaux des carriers (!), que Raoul Cammas découvre « le 18 juin 1949 » (4 ibid., 511), la célèbre mandibule humaine considérée comme pré néandertalienne. Pour protéger les richesses paléontologiques des grottes du complexe de la Niche et Coupe-Gorge, démontrées par leurs résultats, les archéologues obtiennent un arrêté de classement le 14 décembre 1949. Malgré cette décision, en 1955, « les carriers, enfreignant les prescriptions de cet arrêté de classement de la zone des grottes, firent partir des mines qui eurent pour effet fortuit et heureux, d’ouvrir et de prolonger la Niche vers le haut, au-delà du sommet des voûtes de Coupe- Gorge ». (4 Ibid.,512).

Assez paradoxalement cette indiscipline a permis d’accéder au réseau des grottes dans ce secteur de la vallée de la Seygouade et à des sédiments paléontologiquement « fertiles ». La poursuite de l’exploitation sur ce site a détruit, après une éphémère accessibilité, les structures opportunément décrites et expliquées par Louis Méroc et ses collaborateurs (4 Ibid., 509). Mais pour une indiscipline débouchant sur des découvertes prestigieuses, combien d’autres, après 1949 et pendant près de 60 ans, hors la vue de tout témoin compétent, ont-elles saccagé et broyé de cavités et fissures remplies de sédiments et de fossiles ? Plus tard, les incompréhensions des carriers ont évolué vers une absence complète de collaboration, et même, vers une interdiction d’accès aux chantiers. Dans leur lettre du 24 mai 2008 adressée à Stéphane Fargeot, Josette Renault-Miskovsky et Michel Girard écrivent :

En 1969, lors de la préparation du Congrès international de l’U.I.S.P.P. (Union Internationale des Sciences Préhistoriques et Protohistoriques), Messieurs Louis Méroc, (alors directeur de la circonscription archéologique de Midi- Pyrénées), Georges Simonnet […] Jacques Aubinel […} Christian Servelle et Michel Girard, avaient assisté, atterrés, aux tirs de mines qui détruisaient irrémédiablement la zone entourant l’ensemble des grottes préhistoriques. Plusieurs cavités emplies d’ossements avaient d’ailleurs été éventrées sous nos yeux par ces explosions sans que l’on puisse intervenir ni pouvoir collecter quoi que ce soit. (22, Ibid.)

D’autres témoignages, écrits ou oraux, confirment cette regrettable réalité remontant quelquefois assez haut dans le temps, bien avant le grand développement des carrières, comme le décrit H.V. Vallois (1924 !), cité dans la bibliographie de Stéphane Fargeot relative à Montmaurin s.l. (23) :

Au cours de l’exploitation d’une carrière dans le défilé de la Seygouade, on a récemment mis à jour une caverne, non explorée jusqu’ici […]. A une distance de quelques mètres de l’entrée, […] les ouvriers ont découvert un certain nombre de squelettes, mais l’entrepreneur qui dirigeait ces travaux s’est empressé de faire jeter à la rivière, toutes les pièces exhumées, de peur que l’on ne vienne déranger ses ouvriers en les recueillant ! (24, 314,315)

Le débat évolue vers l’épreuve de force. Vers la fin du XXème siècle, les archéologues et préhistoriens membres de la CO.R.E.P.H.A.E. (Commission Régionale du Patrimoine Historique, Archéologique et Ethnologique), obtiennent une décision interdisant la poursuite de l’exploitation au-delà de la date prévue pour la concession. L’arrêté d’autorisation expire le 15 avril 2007. En juillet 2007, « Suite à la difficulté de pouvoir renouveler l’exploitation de cette carrière, qui aurait permis de pérenniser ses activités dans ce secteur, du fait de la présence sur le site de grottes protégées et d’un patrimoine archéologique exceptionnel », l’entreprise Dragages garonnais de 31 – Valentine, « a recherché, en collaboration avec la commune, un nouveau site d’exploitation […] de moindre impact, l’ancienne carrière de la « Coume day Hourquat Garriga et Gaüsère , située en limite nord du territoire communal, sur le même massif calcaire que le site initial ». Un dossier de « demande d’exploitation d’une carrière de calcaire et d’une installation de criblage-concassage. » (25, 4) est déposé en décembre 2007. Le projet révèle une augmentation exponentielle de la puissance d’exploitation (25, Ibid.5) : site industriel de 8 ha 71 a 05 ca dont 5 ha exploitables, 1.6 million de m3 de calcaires bruts extraits pour obtenir 1.3 million de m3 nets de granulats et autres matériaux (pierres à bâtir ou blocs d’enrochement), 30 ans d’exploitation avec, tous les mois, en moyenne, un tir de mine d’abattage des couches rocheuses avec une charge maximale proche de 2 500 kg ! (25, Ibid., 16). Le tonnage moyen de l’exploitation serait de 120 000 t/an. Il est important de rappeler que dans les concessions antérieures le tonnage maximum annuel autorisé n’a jamais dépassé 15 000 t/an. Par ailleurs, autrefois, pendant des périodes plus ou moins longues, l’exploitation cessait. Qualitativement et quantitativement, on n’est plus dans le même registre !

Le dossier est instruit suivant les procédures en vigueur : dépôt en préfecture, prise en compte des dispositions de différents codes (de l’environnement, minier, de l’industrie, rural, forestier, de la santé publique, des collectivités territoriales, du travail), et des différentes lois, arrêtés et ordonnances relatifs au sujet concerné, des avis ou rapports de l’inspection des installations classées, du conseil municipal de Montmaurin et de ceux des conseils municipaux des communes limitrophes. Sont aussi pris en compte, les avis des directeurs départementaux de l’équipement, de l’agriculture et de la forêt, des affaires sanitaires et sociales, du service de l’architecture et du patrimoine, du directeur régional de l’environnement, de la chambre d’agriculture, du conseil général de la Haute-Garonne, de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites en formation spécialisée « carrières ». Enfin le Directeur régional des affaires culturelles, Monsieur Michel Vaginay, par délégation du préfet de région, prend, le 17 janvier 2008 (26), un arrêté prescrivant la réalisation d’un diagnostic archéologique préventif. Dans son « considérant », il rappelle que :

les gorges de la Seygouade comme celles de la Save voisine, sont un des hauts lieux de la préhistoire européenne par la richesse des sites paléolithiques qu’elles recèlent. […] que « des découvertes ont été faites par Louis Méroc […] au cours de l’exploitation de la carrière qui les a révélées et qui les aurait détruites également si ce préhistorien n’était pas intervenu à temps. [!] L’ouverture d’une nouvelle carrière située à un kilomètre au nord de la précédente, dans les mêmes formations calcaires et le même contexte géomorphologique […] laisse présager des possibilités de découvertes identiques à celles de Coupe Gorge et de la Niche. ! (26, Ibid.1)

Une enquête publique est ouverte du 4 mars au 17 avril 2008. Des permanences sont organisées, ainsi qu’une réunion publique, le 28 mars 2008. Les habitants de Montmaurin et des communes voisines ne restent pas indifférents. Plus de 100 personnes participent à la réunion publique où le Service Régional de l’Archéologie (S.R.A.) n’est pas représenté ! Soixante sept requêtes sont inscrites sur le registre mis à la disposition des intervenants. Quatre vingt cinq notes, pièces ou lettres sont remises ou adressées à Monsieur Louis Lasserre, commissaire-enquêteur. Ces requêtes ou commentaires émanent de plus de 10 associations, du Collectif Citoyens Montmaurinois, des maires des communes de Blajan, Boulogne-sur- Gesse, Lespugue, Montmaurin et Saint-Plancard, du conseiller général de Boulogne-sur-Gesse Monsieur Jacques Leclerc. Via Thérèse Miro, membre de l’Association « Entre Save et Seygouade » de Montmaurin, responsable du musée de Montmaurin, et Stéphane Fargeot secrétaire de « ADAQ-Vie » (Association pour la défense et l’amélioration de la qualité de vie en vallées de Save et de Gesse) de Sarrecave, des courriers d’éminents préhistoriens sont déposés. Ils émanent de Jean Clottes (16, Ibid.), Henry de Lumley (17, Ibid.), Bruno Maureille (18, Ibid.), Josette Renault-Miskovsky et Michel Girard (22, Ibid.). A l’exception de celui du maire de Montmaurin, tous les avis, expriment, avec plus ou moins de vigueur et d’animosité, une opposition délibérée à l’ouverture de la carrière. La préoccupation majeure concerne la destruction du patrimoine archéologique et historique potentiel. Viennent ensuite les nuisances liées aux poussières et au bruit, les risques liés à l’utilisation des fortes charges d’explosifs, les atteintes à l’environnement, l’augmentation du trafic routier, l’accidentologie, la dépréciation du foncier, la dégradation de la qualité de vie, les effets négatifs sur le tourisme local. Une demande réduite des locations des gîtes ruraux locaux est redoutée. Les retombées économiques pour la commune et le canton sont jugées faibles : peu d’emplois, peu de retour financier. Des orientations alternatives sont suggérées pour développer des activités autour du patrimoine naturel, historique, archéologique et préhistorique avec des propositions de conseils pour y arriver [H. de Lumley (17, Ibid.)] et même d’appui financier [M. Medevielle, Maire de Boulogne-sur-Gesse) (27, 13, note77)].

Dans son rapport d’enquête publique (27), le commissaire-enquêteur, malgré cette mobilisation basée sur des arguments « en béton » (communication personnelle de Jean Guilaine, Professeur au Collège de France, Membre de l’Institut, éminent spécialiste du néolithique) et ce tollé, donne un « avis favorable assorti de réserves et recommandations ». La première des réserves : « prévoir dans l’arrêté préfectoral que l’exploitation ne pourra démarrer que si la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) donne son accord », montre que la principale préoccupation des nombreux opposants à l’ouverture de la carrière — la protection du patrimoine archéologique — a été bien perçue. Par sa formulation, le commissaire-enquêteur transmet un message fort à l’administration compétente et la place devant ses responsabilités. Les autres réserves, préconisent : l’arrêt des travaux si les poussières ne peuvent être abattues, le respect de la limitation à 2 dB (décibels) de l’émergence sonore, la baisse du tonnage maximum annuel possible de 200 000 t/an à 150 000 t/an avec une moyenne de 120 000 t/an sur une période glissante de 3 ans, la remise en état de la carrière abandonnée. Le commissaire-enquêteur recommande : la mise en place d’une structure de concertation et de suivi — entreprise, municipalité, riverains — qui fonctionnera avant le début de l’exploitation ; une étude et une harmonisation des circuits et des horaires des camions avec ceux des tournées touristiques et des transports scolaires. Ces préoccupations sont dérisoires par rapport à l’enjeu scientifique et culturel !

Sur la base de toutes les informations et avis recueillis, Monsieur Dominique Bur, Préfet de la Région Midi-Pyrénées, Préfet de la Haute-Garonne, prend, le 10 avril 2009, un « arrêté (28) portant autorisation d’exploiter une carrière de calcaire et une installation de broyage-concassage sur le territoire de la commune de MONTMAURIN ».

Un arrêté contesté. Une grande mobilisation pour en demander l’annulation

Dès sa publication, l’arrêté préfectoral provoque une levée de boucliers. Trois requêtes en annulation, sont déposées devant le Tribunal Administratif (TA) de Toulouse. Elles émanent de l’Association « Entre Save et Seygouade » de Montmaurin (juin 2009), du Conseil Général de la Haute-Garonne en son président Pierre Izard (juillet 2009) et de l’association « ADAQ-Vie » de Sarrecave (septembre 2009). L’association « Nature Comminges », qui a déposé un mémoire très argumenté pendant l’enquête publique (29), introduit un mémoire en intervention auprès du TA pour renforcer le recours de l’Association « Entre Save et Seygouade ». Plusieurs personnes s’associent, à titre personnel, aux requêtes de chacune des deux Associations.

Deux pétitions sont lancées. La première, locale, est destinée aux visiteurs du musée et de la villa gallo-romaine de Montmaurin. On y compte plus de 4000 signatures apposées par des personnes stupéfaites ou indignées lorsqu’elles découvrent les caractéristiques du projet. La deuxième, internationale, est lancée dans les colonnes de la revue Midi- Pyrénées Patrimoine, n°18, été 2009. Les dix premiers signataires sont : *Christian Goudineau, Professeur au Collège de France, *Barbara Kowalzig, Royal Holloway, Université de Londres (G.B.), *Nicolas Purcell, St John’s College d’Oxford (G.B.), et, de l’Université de Toulouse-Jean Jaurès : *Michel Barbaza Professeur, Directeur du laboratoire TRACES/ CNRS, *Georges Bertrand, Président honoraire, *Philippe Fosse et *Pierre Moret, Chercheurs au CNRS (TRACES), *Jean-Paul Métaillé, Directeur de Recherches au CNRS, Directeur de Géode (CNRS), *Jean-Marie Pailler et *Robert Sablayrolles, professeurs. Trois cent cinquante cinq personnes ont signé, toutes compétentes à titre professionnel ou culturel, pour s’associer, en exprimant souvent leur stupeur, « à la préservation et à la mise en valeur du magnifique patrimoine naturel et culturel de la région Montmaurin- Lespugue ». Les signataires étrangers appartiennent à 15 pays : Afrique du Sud, Angola, Allemagne, Belgique, Canada, Danemark, Emirats-Arabes- Unis, Espagne, Etats-Unis, Italie, Jordanie, Maroc, Portugal, Royaume-Uni, Russie. Outre la mobilisation des premiers signataires et de leurs collègues, il faut souligner celle, particulièrement active et efficace de Dominique Sacchi, Directeur de Recherches honoraire au CNRS, éminent spécialiste du paléolithique. Il a obtenu l’engagement de collègues préhistoriens de l’Afrique du Sud à Vladivostok et de la plupart des pays cités ci-dessus. De la signature conjointe, « pour la défense du site » de Marina Vlady et Robert Hossein (alertés par Rémi Trottereau, peintre et sculpteur) à celle de Catherine Cibien (alertée par Jean-Pierre Vincent, ancien titulaire de la chaire UNESCO, aménagement-développement, à l’Université Paul Sabatier de Toulouse), directrice du programme français Man and Biosphere de l’Unesco (réseau national des réserves de biosphère), en passant par celles du Professeur Michel Sicard Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse et de Christophe Tourenq, Manager, Science and Research, Emirates Wildlife Society, Abu- Dhabi, les pétitionnaires forment une cohorte d’où émanent des sentiments puissants de surprise, indignation et révolte.

De nouvelles prises de position hostiles à l’ouverture de la carrière s’ajoutent. A l’initiative de leur président, le Professeur Georges Larrouy, les membres de l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse, après mûre réflexion et documentation, votent, le 10 juin 2010 et à l’unanimité, une motion demandant « instamment que soit abandonné le projet de carrière […] et qu’une solution alternative […] soit recherchée, afin de préserver une zone présentant un intérêt scientifique et touristique majeur ».

Avec le Professeur Henri Rème, Président de l’Association des Amis de l’Hôtel d’Assézat, le Professeur Larrouy organise aussi, le 19 juin 2012, dans le cadre « des Mardis de l’Hôtel d’Assézat », à Toulouse, un colloque : « MONTMAURIN, LESPUGUE : 200 000 ans d’occupation humaine dans les gorges de la Save et leurs environs, un patrimoine menacé ». Plus de 100 personnes participent aux débats animés par les Professeurs Georges Larrouy, Marcel Delpoux, Jean-Marie Pailler, François Bon et José Braga. Dans son intervention, Jean-Marie Pailler, a fait remonter du plus profond de sa mémoire, le cri poussé, en 1984, par Wilhelmina M.-F. Jashemski après la communication qu’il avait présentée aux Etats-Unis sur la villa gallo- romaine de Montmaurin (communication personnelle de Stéphane Fargeot) : « It’s incredible, Montmaurin is a centre of the world ! ». On peut imaginer la réaction de cette archéologue, spécialiste mondialement reconnue des villas et jardins romains antiques, si elle n’était pas décédée en 2007 ! Avec des intervenants du public, notamment, Isaure Gratacos, professeure, docteur d’Etat en anthropologie, Sylvia Belair, présidente de l’Association « Entre Save et Seygouade » et Thérèse Miro, les qualités du site et les menaces qui pèsent sur lui, sont décrites et expliquées. A cette occasion, des élèves des classes de seconde du lycée Marcelin Berthelot de Toulouse, exposent dans le même lieu, 8 panneaux réalisés avec le concours du conseil régional de Midi-Pyrénées. Cet excellent travail, proposé et dirigé par Mesdames Claude Lalanne et Verena Trautmann-M’Barki, professeures, dans le cadre de l’enseignement « Littérature et Société », est entièrement consacré à « Montmaurin : un patrimoine menacé ».

D’autres initiatives vont dans le même sens. Le contact établi par Sylvia Belair avec le conseil régional de Midi-Pyrénées débouche sur des discussions avec Gérard Onesta et François Arcangeli, membres élus de cette collectivité territoriale et sur la décision du président Martin Malvy, à la suite d’une proposition du groupe Europe-Ecologie-Les-Verts, de faire voter, le 9 novembre 2010, une motion à l’assemblée plénière. Les élus de la région expriment massivement (5 voix contre) leur désaccord avec le projet de carrière. Préalablement à cette prise de position, la première vice-présidente du conseil régional, Nicole Belloubet, ancienne Rectrice de l’Académie de Toulouse, nommée par la suite membre du Conseil Constitutionnel, avait signé la pétition internationale et envoyé, à cette occasion, un message ferme de soutien aux défenseurs du site. La Société des Etudes du Comminges (S.E.C.) vote aussi une motion hostile au projet destructeur et son président, le Professeur René Souriac, en publie le texte dans le Revue de Comminges et des Pyrénées centrales (29). En phase avec ces prises de position, allant jusqu’à la co-signature de la motion de la S.E.C., il faut signaler celles de la Société archéologique du Midi de la France, de la Société Méridionale de Spéléologie et de Préhistoire (S.M.S.P.), de l’Association « Vivre en Comminges », de l’Union Midi-Pyrénées Nature et Environnement (UMINATE), de l’Association « Nature-Comminges » qui renouvelle ses prises de position de la première heure (30).

Sur le terrain, le processus continue avec l’application de l’arrêté préfectoral, les associations agissant de leur côté. Divers événements se produisent :

1. dans le cadre de l’inventaire des cavités effectué par la S.E.C. et la S.M.S.P., Isaure Gratacos et une équipe émanant de ces Sociétés (Isaure Gratacos, Georges Jauzion, président de la S.M.S.P., Jean-Marie Massenet, Louis Raymond, appuyés par Jean-Claude et Cédric Brumas, Mathieu Soudais, participants locaux, tous bénévoles), ont réalisé un énorme travail de repérage des cavités et fissures du dôme karstique. Ils en comptent une centaine, dont huit dans le périmètre d’emprise de la carrière contestée ! Au delà de leur position et de leurs caractéristiques topographiques systématiquement relevées, elles ont permis, grâce aux caractéristiques de leur remplissage, de faire émerger dans les conclusions d’Isaure Gratacos, le concept de « karst fossilisé », lié à la proximité du plateau de Lannemezan. Elle explique, dans un mémoire (14, Ibid.) prolongeant celui écrit, en collaboration avec Daniel Quettier, au moment de son engagement de la première heure (31), comment, en accord avec les idées de François Taillefer et de Louis Méroc, le garnissage des cavités karstiques (longue continuité stratigraphique, excellente conservation des fossiles et des sédiments encaissants) doit à ce vaste dépôt détritique. Il a protégé le dôme des grands écoulements fluviatiles liés à la fonte des glaciers pyrénéens quaternaires et, de ce fait, évité la grande vidange des sédiments remplissant ses cavités. Cette particularité montmaurinoise fait reprendre à Isaure Gratacos, l’expression de Louis Méroc, citée plus haut : « une succession de couches […] unique dans les Pyrénées et peut être dans le monde » ! A l’occasion de cet inventaire, Isaure Gratacos et Georges Jauzion et leur équipe, ont découvert, dans la grotte de Bacuran :

un panneau gravé de 2 m sur 1.20 m […] où Frédéric Maksud, responsable S.R.A.( Service Régional de l’Archéologie), a diagnostiqué […] des gravures schématiques pouvant dater du néolithique ou de l’âge du bronze […] un autre panneau gravé était repéré […] dans une autre grotte [… ] 150 m à l’ouest de celle de Bacuran, encore plus près du site de la carrière. (32)

Ces découvertes renforcent la conviction d’Isaure Gratacos et de son équipe de la nécessité d’arrêter la destruction du site et d’en demander son classement dans les « géomorphosites définis par l’UNESCO ».

2. le diagnostic archéologique préventif demandé par le directeur régional des affaires culturelles est réalisé par l’INRAP (Institut national de recherches archéologiques préventives) sous la direction de Marc Jarry. Prévu dans un premier temps sur la totalité de l’emprise de la carrière, soit 80 000 m2 environ (arrêté du 17 janvier 2008) il est réduit par l’arrêté modificatif du 21 juillet 2009 aux 21 800 m2 des emprises des phases 1, 5 et 6 du projet. Les travaux ont eu lieu sur le terrain du 7 au 22 juin 2010. Les études post-fouilles suivent et le rapport de diagnostic (33) est remis en février 2011. Il y est rappelé que la carrière projetée correspond, en fait, à la reprise de l’ancienne carrière, aujourd’hui abandonnée, de la « Coume day Hourquat Garriga et Gaüsère ». A partir du versant primitif situé rive droite de la Seygouade, elle s’est enfoncée dans des couches géomorphologiquement homologues de celles abritant les grottes du complexe La Niche-Coupe-Gorge s.l. C’est, dans ce « secteur maintenant détruit de l’ancienne carrière » que « pour le pléistocène » […] se serait trouvé le plus fort potentiel archéologique » ! Pour les parties plus internes du karst les résultats sont jugés « maigres pour le pléistocène […] Cependant, quelques indices erratiques, soutenus par un jeu de datations radionumériques, indiquent une fréquentation régulière de ce secteur depuis longtemps » (33, Ibid.124).

Dans une doline située à l’intérieur de l’emprise, « la stratigraphie se poursuit après le Pléistocène, avec des séquences colluviales holocènes […] de l’Age du Bronze (avec des vestiges archéologiques) puis de l’Age du Fer et enfin du Moyen-Age avec des structures en place. La doline fonctionnerait alors comme un enregistrement de l’anthropisation du milieu » (33, Ibid.124).

Dans ces sept lignes de citations, l’effet destructeur des carrières est rappelé et la découverte, malgré tout, à la périphérie du site détruit, « d’indices erratiques » témoignant d’une « fréquentation » très ancienne est à souligner. La doline apparaît aussi comme une mémoire de ce long passé à l’image des tourbières dans certains milieux humides. Tout ceci a été perçu à l’issue d’une fouille préventive de quelques jours ! Bravo pour les fouilleurs ! Il faut rappeler que, à ce titre de mémoires, beaucoup de tourbières ont été l’objet de mesures de protection totale comme celle de Pinet dans le Pays de Sault, aux confins de l’Aude et de l’Ariège. L’exploitation intensive de tourbe dont elle était l’objet a été, de ce fait, totalement et définitivement interrompue. Par sa position centrale dans « un des hauts lieux de la préhistoire européenne par la richesse des sites paléolithiques qu’ils recèlent, Michel Vaginay » (26, Ibid.1), la doline de la « Coume day Hourquat Garriga et Gaüsère » devrait bénéficier d’une mesure identique de classement et de protection, elle même élargie à l’ensemble du dôme karstique de Montmaurin-Lespugue. Dans le même rapport de fouilles on lit :

Mais c’est pour la période médiévale que les données recueillies sont les plus importantes […] un ensemble fortifié attribuable vraisemblablement à la fin du XIIème siècle-début du XIIIème. […] avec une superficie de la basse cour, pour la partie conservée, de plus de 1 000 m2 » au sein d’une « zone médiévale de près de 6 000 m2 le site médiéval de Castet à Montmaurin apparaît […] comme une source d’information importante pour une période dont la connaissance reste encore particulièrement lacunaire. (33, Ibid.124-125)

Dans le prolongement des travaux du diagnostic archéologique et des conclusions du rapport de février 2011 qui en donne les résultats, l’arrêté 2011/211 du 23 juin 2011 prescrit une fouille archéologique « extensive ».

Un nettoyage de la végétation, sans bouleversement des sols archéologiques, sera réalisé sur une surface d’environ 3 500 m2 […]. Elle sera suivie de la fouille archéologique d’une fenêtre d’environ 2 000 m2 au sein de cette emprise […] Le rapport final sera remis dans les 20 mois après la fin des opérations.

Les résultats du diagnostic, apportent des arguments solides aux défenseurs du site. Le débat qui a déjà été long et vif va continuer, sans doute longtemps. Il faut regretter que les grandes voix dont l’autorité nationale et internationale est incontestée et l’exceptionnelle mobilisation, n’aient pu convaincre les promoteurs, concepteurs et animateurs du projet et les administrations compétentes d’y renoncer, les premiers en minorant ou niant les potentialités du site et en surdimensionnant les retombées économiques, les derniers, en ne tirant pas les conclusions de leur propre caractérisation, pourtant honnête, du même site.

A ce titre, un échange épistolaire entre le Professeur Georges Larrouy, Président de l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse et Monsieur Daniel Gaspin, Maire de Montmaurin, est très représentatif du débat général. A la suite du vote de la motion évoquée ci-dessus, par ladite Académie, Monsieur Gaspin écrit, le 3 décembre 2010 (34), au Professeur Larrouy pour déplorer sa « méconnaissance du dossier ». […] que vous ne semblez maîtriser ni sur le fond ni sur la forme ». Il rappelle que les carrières « étaient les seules ressources pour notre petite commune », qu’il « est fort étonné d’apprendre qu’il a été découvert un château pré-féodal » et qu’il « espère que les fouilles entamées […] nous apporteront des précisions sur ce simple mur ».

Dans sa réponse du 23 février 2011 (19, Ibid.), très courtoise mais ferme, de très haute tenue humaniste, très argumentée et constructive, le Professeur Georges Larrouy décrit les conditions du vote de la résolution, « en toute connaissance de cause » après un mois de réflexion, de recherche de documents, de prise en compte d’autres démarches comme celles du Conseil Général de la Haute-Garonne et du Conseil Régional de Midi- Pyrénées, d’articles de presse et après discussion très argumentée en séance académique. Il rappelle que « ce ne sont pas les actuelles carrières de Montmaurin qui ont fait la renommée internationale du site, mais plutôt les fouilles de la prestigieuse ville gallo-romaine, le pic des carriers mettant à jour la célèbre mandibule ou le crâne du lion des cavernes […] pour ce qui touche à l’évolution de l’exploitation […] les méthodes actuelles sont purement et simplement destructrices, vandalisantes, n’autorisant aucun espoir de découverte dans une zone, nous le répétons, aux immenses possibilités. » Il affirme que « Le développement souhaitable passe donc plutôt à l’exemple des grandes stations du Périgord par une valorisation scientifique, pédagogique, touristique des sites magnifiques dont vous êtes l’un des gardiens. […] Nombre d’entre nous sont prêts à œuvrer avec vous pour cette valorisation. »

Cet échange de lettres est resté sans lendemain puisque le Maire de Montmaurin n’a pas donné suite à cette amorce de dialogue. Il en fut de même avec les conseils contenus dans la lettre du 7 avril 2008 (17, Ibid.) de Henry de Lumley responsable depuis 1964, avec son épouse Marie-Antoinette et leurs équipes, des fouilles systématiques réalisées sur le site de la Caune de l’Arago à Tautavel. Ce document avait été déposé auprès du commissaire-enquêteur dans le registre de l’enquête publique ouvert au public. Il en a été de même aussi pour les propositions de conseils de Jacques Pernaud directeur du musée préhistorique de Tautavel. Dans son ouvrage « L’atelier du préhistorien, 2011 » (35) Henry de Lumley décrit, pour Tautavel, une démarche municipale à faire rêver les défenseurs du patrimoine de Montmaurin-Lespugue. Il rappelle que dès les premières fouilles, en 1964, s’est posé le problème du stockage des nombreuses pièces découvertes. Le Maire de Tautavel « Albert Pla […] a mis à ma disposition des chambres situées sous les combles […] de l’école » et « quand l’idée d’un musée a commencé à germer, Albert Pla a très généreusement offert un terrain […] Léon Jean-Grégory, président du Conseil Général des Pyrénées- Orientales, un homme visionnaire […] était d’accord pour financer le projet mais pas intégralement […] le directeur des Musées de France sollicité […] a décidé d’envoyer un inspecteur à Tautavel […] qui, une fois rentré à Paris, a rédigé un rapport calamiteux disant en substance qu’il était absurde de créer un musée dans ce coin perdu des Corbières où ne viendrait jamais personne. » ! (35, Ibid.101-103)

Les autochtones ont persévéré et le musée a ouvert quatre ans plus tard ! Après la découverte, en 1971, du crâne de l’homme de Tautavel l’idée d’un grand musée a été lancée.

Le nouveau maire, Guy Ilary […] m’a totalement soutenu » et le Conseil Général, la Région, l’Etat et les fonds européens ont fait le reste. Cinquante ans après, le musée a été rénové « avec une salle de conservation des échantillons de 1 000 m2, équipée de 20 000 tiroirs et d’une chambre forte pour les restes humains. (35, Ibid.103-104)

Un laboratoire pluridisciplinaire de préhistoire a été créé sur place regroupant, à Tautavel, des spécialistes utiles pour la description et l’explication des faits basés sur les objets dégagés par les fouilles, de la préhistoire à la botanique et à la paléobotanique en passant par la géologie, la paléontologie, la sédimentologie, la zoologie, etc. Ont été installés « des ateliers pour la muséologie, le moulage, la fabrication d’outils multimédia. La formation sur place a débouché « sur la construction d’une cité universitaire accueillant une quarantaine d’étudiants préparant des masters ou des doctorats […]. Sans compter des scolaires venus de toute la France et de Catalogne, on reçoit ainsi 9 000 élèves par an, et le musée attire 120 000 visiteurs par an ». Au total « une soixantaine de personnes travaillent sur le site » ! De nombreux emplois induits « dans treize restaurants, dans plusieurs hôtels et de nombreuses chambres d’hôtes, dans les caves coopératives et privées » ont « constitué un moteur économique extraordinaire pour la commune et ses alentours. » (35, Ibid.106-107)

Un palais des congrès de 500 places bénéficiant des équipements les plus modernes, accueille de nombreuses manifestations culturelles : cycles de conférences, séminaires, etc. se déroulent toute l’année et un festival a lieu tous les ans, etc. Il est important de rappeler qu’à Tautavel tout ce développement s’est opéré autour d’une seule cavité, certes exceptionnelle : la Caune de l’Arago. A Montmaurin, environ cent cavités ou fissures ont été repérées et plus d’une vingtaine, objet de fouilles, ont déjà livré des pièces, toutes utiles, certaines prestigieuses !

Malgré cela, à Montmaurin, un vent mauvais souffle depuis des décennies. Il a commencé, faiblement, avec les pelles et les pioches des carriers puis s’est amplifié avec la dynamite et les progrès de la mécanisation et des techniques d’exploitation. Il a pris la forme d’un tourbillon, d’une tornade et pour finir d’un cyclone dévastateur. Les récits des témoins impuissants décrivant la volée en éclats des trésors paléontologiques délicatement enfouis au cours de nombreux millénaires dans de nombreuses cavités, ne permettent d’accorder aucun crédit aux promesses des futurs exploitants d’arrêter les travaux en cas de découvertes nouvelles parce que, de toute façon, la puissance annoncée des tirs de mine pulvériseront, tranche par tranche, roches et éventuelles structures archéologiques. L’article 12 de l’arrêté préfectoral du 10 avril 2009 (28) est ainsi rédigé : « L’exploitant doit respecter les engagements pris dans sa demande et notamment dans l’étude d’impact ». Dans cette dernière (25, Ibid.), il est écrit page 128 § 2.9.3 alinéa 4 que, « en cas de découverte fortuite de vestiges archéologiques dans l’emprise des terrains lors des travaux de décapage ou d’extraction des calcaires, celles-ci seront immédiatement signalées au maire de la commune de Montmaurin, ainsi qu’au Service Régional de l’Archéologie qui prendra toutes les mesures de protection nécessaires ».

L’exploitant peut être tranquille car au delà du broyage aveugle du karst, aucune disposition ne prévoit le moindre contrôle du S.R.A. L’initiative de l’alerte est dans l’entreprise ! Tout se passera dans le huis clos du chantier puisque « l’accès au site d’exploitation à partir des voies publiques doit être équipé de barrières fermées en dehors des heures d’activité » (article 23 de l’arrêté) et « l’interdiction d’accès au public doit être affichée en limite de l’exploitation, à proximité de chaque accès et en tout autre point défini par l’Inspection des Installations Classées » (article 24 de l’arrêté). Ces dispositions, compréhensibles pour des raisons de sécurité, seront, en même temps, fatales pour les potentialités annoncées par les voix les plus autorisées.

Face à cette montée du péril culturel et socio-économique, la résistance s’est organisée autour de certains habitants de Montmaurin (Collectif Citoyens Montmaurinois et Association « Entre Save et Seygouade ») et d’autres habitants des communes proches (Association« ADAQ-Vie » de Sarrecave, Société d’Etudes du Nébouzan et plusieurs Conseils Municipaux des villages proches). La contestation s’est élargie vers la région de Saint- Gaudens avec la mobilisation d’Associations citées ci-dessus. Le niveau départemental a été atteint grâce au Président Pierre Izard du Conseil Général, le niveau régional grâce à des élus motivés et au Président Martin Malvy du Conseil Régional, à plusieurs Associations citées ci-dessus et à l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse, le niveau national et international grâce aux deux pétitions. Si le bouche à oreille et des implications individuelles ont joué un rôle décisif dans la montée en puissance de cette opposition au funeste projet, la presse locale et régionale, généraliste et spécialisée a porté au grand jour les points forts du débat. Le Petit Journal, La Gazette du Comminges, Vivre en Comminges, La Dépêche du Midi, les revues Pyrénées Magazine et Midi-Pyrénées Patrimoine ont ouvert leurs colonnes pour informer leurs lecteurs. Chez Bernard Seiden, Directeur de la revue Midi-Pyrénées Patrimoine et son collaborateur Santiago Mendieta, au delà de l’information, un engagement militant a été observé : lancement de la pétition internationale (n°18, été 2009) et prises de position argumentées dans des articles publiés à chacune des principales étapes de « l’affaire de la carrière de Montmaurin ». Dans la Dépêche du Midi, Pierre Challier, alerté par Rémi Trottereau, peintre et sculpteur, a publié, avec l’accord de la rédaction du quotidien, plusieurs articles engagés, en faveur de la défense du patrimoine montmaurinois avec titre à la « Une » et au moins trois fois, double page intérieure dans la rubrique « Grand Sud » toutes éditions. Il s’est employé avec persévérance à obtenir les avis des spécialistes les plus autorisés dans le domaine de l’archéologie et de la préhistoire : Yves Coppens, Jean Clottes, José Braga, François Bon.

Au total, cette large mobilisation d’une communauté plurielle, pacifique et sincère, fît naître l’espoir de voir convaincre le Président et ses conseillers du Tribunal Administratif de Toulouse, par les avocats, Maîtres Jean- Michel Ducomte et Xavier Larrouy-Castéra, représentant respectivement les Associations « Entre Save et Seygouade » et « ADAQ-Vie », lorsqu’ils plaidèrent le 26 septembre 2013 devant cette instance d’arbitrage.Annoncée, le 24 octobre 2013, la notification du jugement ordonnant l’annulation de l’arrêté provoqua autant que la joie, un immense soulagement.

Mais, … le 27 décembre 2013 le greffier en chef de la Cour Administrative d’appel de Bordeaux enregistre l’appel de Dragages Garonnais Sarl demandant (i) « l’annulation du jugement du 24 octobre 2013 du Tribunal administratif de Toulouse (ii) subsidiairement, une modification du périmètre exploitable « afin de préserver les vestiges archéologiques diagnostiqués sur le site ». La deuxième demande valide les arguments des requérants et de ceux qui les ont soutenus puisque l’entreprise renonce à exploiter la zone du château médiéval où le Maire de Montmaurin ne voyait « qu’un simple mur. » (34, Ibid.). Par contre, elle persiste dans sa volonté de s’installer au voisinage immédiat, alors qu’elle avait développé son actuel projet, pour s’éloigner « d’un patrimoine archéologique exceptionnel » (25, Ibid.4).

La sérénité, un moment entrevue, a disparu. Il faut constituer de nouveaux dossiers, actualiser les argumentaires. Pendant la courte pause précédant la prochaine échéance, il faut rendre hommage aux différents défenseurs du patrimoine qui par leur nombre, leur diversité, leur complémentarité, leur fidélité, leurs initiatives, leurs encouragements et aussi leur compétence, ont validé l’action de ceux qui, sur le terrain, sont quotidiennement confrontés aux problèmes posés par cette implantation industrielle pénalisante à plusieurs titres. Il faut aussi saluer le courage, la persévérance et la réactivité de ceux qui, pour des raisons géographiques, sont en première ligne. Cette caractéristique ne donne pas automatiquement le savoir-faire et la compétence. Par chance, à Montmaurin et dans sa région un fonds culturel et technique, solide mais diffus et, en apparence compartimenté, a su se fédérer pour bénéficier d’une crédibilité mobilisatrice convergeant avec des engagements de responsables institutionnels spontanément vigilants ou attentifs aux préoccupations et sollicitations locales. Les maîtrises par les un(e)s ou les autres, de l’informatique, de l’histoire, de la géographie, de la spéléologie, de la reprographie, de la pratique d’internet, des techniques de communication, de la photographie, etc. se sont harmonieusement potentialisées pour, servies par l’extraordinaire réactivité, faire face à de nombreuses situations. Pour la photographie, il faut saluer la compétence et la disponibilité de Jacques Sabloux qui a mis, bénévolement, son Art au Service de la Cause.

La redoutable menace a eu, aussi, des retombées positives : réunions amicales, animations champêtres ou autour de conférenciers, sorties dans la nature, visites de sites connus ou moins connus de la commune, réception de personnes motivées, création de tracts et d’affiches, de sites sur internet, etc. Ces moments sereins à heureux ont compensé les heures ou les jours difficiles voire sombres, des débats agités de la réunion publique aux longues et dures journées d’occupation du site de la carrière pour, au moins, le « geler » pendant la réalisation du diagnostic archéologique et en attendant la décision de justice. Cette occupation, du 23 mars à la fin du mois de juillet 2010, a été décidée par la Présidente de l’Association « Entre Save et Seygouade », en accord avec les adhérents, à la suite du recours gracieux non abouti visant à obtenir l’annulation de l’arrêté préfectoral du 21 juillet 2009 de défrichement partiel. Cette action a conduit Monsieur Bernard Bahut Sous-Préfet de Saint-Gaudens à se rendre sur les lieux. Les archéologues chargés du diagnostic archéologique ayant déclaré que le défrichement n’était pas indispensable, le représentant de l’Etat a décidé, sur le terrain, d’en arrêter les travaux à peine commencés.

Par les fonctions occupées ou les positions adoptées pendant ce dur débat, certains ou certaines sont devenu(e)s plus visibles que d’autres. C’est aussi dans cette situation qu’on prend le plus de coups ! Que tous sachent, jusqu’au plus discret ou obscur d’entre les défenseurs du patrimoine local, qu’ils ont servi la plus précieuse des Causes. Bravo et bon courage à tous.

Conclusion

Pour terminer, il faut revenir au quotidien. Un pan du karst a été sauvé : celui qui supporte Le Castet. Pour la suite et pour rester motivés, il faut garder en tête ces deux extraits (en caractères gras ci-dessous) de lettres de soutien de scientifiques compétents et responsables. Si, malgré cet empilement de raisons, lié à l’empilement des qualités du site, le projet n’est pas annulé, nous pourrons non seulement « nous reprocher », mais aussi être responsables (entreprise pétitionnaire, administrations de tutelle, avertis restés silencieux, arbitres juridiques) d’une indiscutable incurie et d’un mépris évident vis-à- vis des futures générations (Josette Renault-Miskovsky et Michel Girard, 22, Ibid.). C’est aussi sur notre capacité à conserver et à valoriser un patrimoine collectif unique à Montmaurin que nous sommes observés par la communauté scientifique internationale (José Braga, 20, Ibid.)

RÉFÉRENCES BIBLOGRAPHIQUES

1 – Cavaillé M., M. Grammont et Y. Ternet, « Feuille de Boulogne- sur-Gesse de la carte géologique de la France au 50 000ème », n° 1032, BRGM, Orléans, 1976.

2 – Granat J. et E. Peyre, Les fossiles humains (125-200 KA) de la grotte du Coupe-Gorge – Montmaurin (Haute-Garonne France), nouvelle interprétation. Emergence de la parole, Biom. Hum. et Anthropol. 29, 3-4, 89-105, 2012.

3 – Jarry M., « Etude techno-typologique du site d’Esclignac à Montmaurin (Haute-Garonne) », Mémoire D.E.A., 107 p, Université de Toulouse-le- Mirail et Ecole des Hautes Etudes en Sociales, 1994.

4 – Méroc L., Les éléments de la datation de la mandibule humaine de Montmaurin (Haute-Garonne), Bull. Soc. Géol. de France, 7ème série, t.V, n° 4, 508-515, 1963.

5 – Fouet G., La villa gallo-romaine de Montmaurin, Haute-Garonne, Gallia, Editions du CNRS, Paris, 1983.

6 – Fouet G., Le sanctuaire des eaux de « La Hillère » à Montmaurin (Haute-Garonne), Gallia, XXX-1, 83-126, 1972.

SITE ARCHÉOLOGIQUE ET NATUREL DE MONTMAURIN 129 7 – Souverville G.-P., Montmaurin, du bas Moyen-Age à l’Ancien Régime,

Editions du Nébouzan, 1997.

8 – Delpoux M., « Plaidoyer pour la sauvegarde d’un sanctuaire géologique, géomorphologique, floristique, faunistique, phytogéographique et archéologique : l’interfluve Save-Seygouade et ses abords immédiats à hauteur des gorges de la Save (Montmaurin, Haute-Garonne) », imprimé et diffusé par l’association « Entre Save et Seygouade », 68 p, Montmaurin, 2010.

9 – Gaussen H. et P. Rey, « Feuille de Toulouse de la carte de la végétation de la France à l’échelle du 200 000ème », Ed. du CNRS, 1947.

10 – Girard M., La brèche à « Machaïrodus » de Montmaurin (Pyrénées centrales), à la mémoire de Louis Méroc, Bull. Assoc. pour l’étude du Quaternaire, 3, 193-209, 1973.

11 – Dader J. et P. Rey, Notes sur la flore gasconne I. Le mélange des éléments floristiques dans l’Astarac oriental et le Bas-Comminges, Bull. Soc. Hist. Nat. de Toulouse, 80, 65-79, 1945.

12 – Gaussen H., Sur les limites de quelques ligneux en Aquitaine, Bull. Soc. Hist. Nat. de Toulouse, XLI, 401-418, 1931.

13 – Direction Régionale de l’Environnement Midi-Pyrénées, « Zone Naturelle d’Intérêt écologique, faunistiques et floristique (ZNIEFF) de type 1, Gorges de la Save », Rédacteurs de la fiche : AREMIP (Barbe, Joachim, Noble, Parde), 1987, reconduite en 2010.

14 – Gratacos I., « Lespugue-Montmaurin : un conservatoire archéologique unique en Europe, du pré-Néandertalien à nos jours dans les gorges de la Save et de la Seygouade », imprimé et diffusé par l’association « Entre Save et Seygouade », Montmaurin, 50 pp, 2010.

15 – Challier P., « Un appel d’Yves Coppens », pages « Grand Sud », La Dépêche du Midi, Toulouse, 13 mars 2011.

16 – Clottes J., « Lettre à Stéphane Fargeot », 18 mars 2008.
17 – de Lumley H., « Lettre à Stéphane Fargeot et Thérèse Miro »,

7 avril 2008.

18 – Maureille B., « Courriel à Stéphane Fargeot », 7 avril 2008.

19 – Larrouy G., « Lettre à Monsieur le Maire de Montmaurin », 23 février 2011.

20 – Braga José, « Lettre à Sylvia Belair, Présidente de l’Association « Entre Save et Seygouade ». et Thérèse Miro, Responsable du Musée archéologique de Montmaurin », 3 avril 2012.

21 – Challier Pierre, « Interview de François Bon, professeur spécialiste de la préhistoire à l’Université de Toulouse-Jean Jaurès», pages « Grand Sud », La Dépêche du Midi, Toulouse, 25 juin 2012.

22 – Renault-Miskovsky J. et M. Girard, « Courriel à Stéphane Fargeot », 24 mars 2008.

23 – Fargeot S., « Tentative d’établissement d’une bibliographie générale Lespugue-Montmaurin et sites voisins, augmentée de citations », 83-154, Nebouzan, Ed. Nebouzan, 2012.

24 – Vallois H.-V., « Les ossements humains, vraisemblablement néolithiques de Montmaurin », Rev. Anthropol., XXXIV, 315-317, 1929.

25 – Dragages Garonnais 31 800 Valentine, « Projet d’exploitation d’une carrière de calcaire et d’une installation de criblage-concassage, Commune de Montmaurin, lieu dit Coume Day Hourquat Garriga et Gaüsere, Dossier de demande d’autorisation, Rapport CR », 197 pp + annexes, juillet 2007.

26 – Vaginay M., Direction Régionale des Affaires Culturelles, « Arrêté portant prescription de la réalisation d’un diagnostic archéologique », 17 janvier 2008.

27 – Lasserre L., « Rapport d’enquête publique et conclusions relatifs à une demande d’autorisation d’exploiter une carrière et une installation de criblage-concassage sur la commune de Montmaurin », juin 2008.

28 – Bur D., Préfet de la Région Midi-Pyrénées, Préfet de la Haute- Garonne « Arrêté portant autorisation d’exploiter une carrière de calcaire et une installation de criblage-concassage sur le territoire de la commune de MONTMAURIN », 10 avril 2009.

29 – Souriac R., « Le site de Montmaurin menacé ! », Revue de Comminges et des Pyrénées centrales, CXXVI-2, 487, 2010.

30 – Castaing G., Président de l’Association « Nature-Comminges », « Exploitation d’une carrière et d’une installation de criblage-concassage », mémoire déposé dans le cadre de l’enquête publique, 16 avril 2008

31 – Gratacos I. et D. Quettier, « L’interfluve Save-Seygouade, un haut lieu de l’histoire de l’Humanité », imprimé et diffusé par l’association « Entre Save et Seygouade », Montmaurin, 50 pp, 2008.

32 – Gratacos I., Lettre à l’Association « Entre Save et Seygouade », 12 septembre 2013.

33 – Jarry M. « Rapport de diagnostic. Montmaurin, Haute-Garonne, Le Castet, Phases 1, 5 et 6 », 209 pp, Inrap Grand-Sud-Ouest, février 2011.

SITE ARCHÉOLOGIQUE ET NATUREL DE MONTMAURIN 131 34 – Gaspin D. Maire de Montmaurin, « Lettre à Monsieur le Président de

l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles Lettres », 3 décembre 2010. 35 – de Lumley H., L’atelier du préhistorien, conversations avec Gilbert

Charles, 123 pp, Ed. du CNRS.

Dans la discussion qui a suivi, sont intervenus Mme Anne-Catherine WELTÉ, MM. Alain BOUDET, Jean-Luc LAFFONT, Georges LARROUY, Pierre LILE, Lucien REMPLON, Henri RÈME.

 

 

 

Urne